Les chevaliers de la table ronde
tous, en grand appareil, avec
leurs épouses ou leurs amies vêtues de leurs plus riches robes. Pour la
première fois, la reine Guenièvre, comme le roi, portait la couronne. Quand les
cloches sonnèrent la grand-messe, ils allèrent entendre l’office, puis ils
revinrent dans la grande salle où, les tables dressées et les nappes mises, les
barons prirent place, chacun selon son rang. Et c’était Kaï qui avait l’honneur
de servir le roi et la reine.
Au moment où il commençait son office entra dans la salle le
plus bel homme qu’on n’avait jamais vu : sur ses cheveux blonds et ondulés,
il portait une couronne d’or, comparable à celle du roi ; ses chausses
étaient d’étoffe brune et sa cotte de soierie brodée ; sa ceinture de cuir
était rehaussée d’or et de pierreries qui jetaient de tels feux que toute la
salle en fut illuminée. On remarqua aussi que ses souliers étaient de cuir
blanc, fermés par des boucles d’or. Et cet homme portait une petite harpe d’argent
à cordes d’or, toute décorée de pierres précieuses. Malheureusement, il était
aveugle, bien qu’il eût les yeux très clairs et très beaux, et un petit chien
blanc comme la neige, attaché par une chaînette d’or à sa ceinture, le
conduisit devant le roi Arthur. Alors, il accorda sa harpe, en tira quelques
sons mélodieux, et se prit à chanter un lai breton, d’une façon si émouvante et
si belle que Kaï, qui portait les mets au roi Arthur, en oublia son service et
s’assit pour l’écouter.
« Je suis sur la montagne, chantait le barde. Mon esprit
guerrier ne m’entraîne plus. Mes jours seront courts à présent, et ma demeure
est en ruine. Le vent me mord, ma vie est une longue pénitence. La forêt
reprend sa parure d’été, mais je me sens faible et las. Je ne vais point à la
chasse et je n’ai plus de chiens. Je ne peux plus me promener. Mais qu’il
chante donc, le coucou !…
« Le coucou babillard chante avec le jour, ses appels
sont mélodieux dans la vallée, les coucous chantent dans les arbres fleuris. Sur
la colline, de la cime joyeuse du chêne est venue une voix d’oiseau : Coucou
de la colline, tous les amants répètent ta chanson !
« Les oiseaux sont bruyants, les vallées sont humides, la
lune luit. Comme la minuit est donc froide ! Mon esprit est troublé par l’angoisse
et le mal. La vallée est profonde et blanche. Comme la minuit est longue !
On honore le mérite, mais on n’a point d’égards pour la fatigue et la vieillesse.
« Les oiseaux sont bruyants, le rivage est humide, les
feuilles sont tombées. Tant pis pour l’exilé qui sait qu’il est malade ! Les
oiseaux sont bruyants, le sable est humide, clair est le firmament. La vague s’enfle
et l’ennui flétrit mon cœur.
« Les oiseaux sont bruyants, le rivage est humide, brillant
est le flot dans sa course rapide. Puis-je encore aimer ce que j’ai aimé
autrefois lorsque j’étais jeune ? Qu’ils sont bruyants les oiseaux ! Ils
sentent l’odeur de la chair. La voix des chiens retentit sur les landes… Qu’ils
sont bruyants ces oiseaux ! » [75]
Comme le barde aveugle venait juste de terminer son chant, un
homme aux allures étranges entra dans la salle. En voyant les rois couronnés, les
dames et les jeunes filles richement parées, ainsi que le harpiste coiffé d’or,
il s’arrêta tout interdit. Mais il se remit très vite et, s’étant fait montrer
le roi Arthur, il s’avança vers lui et dit à haute voix : « Roi
Arthur, je ne te salue pas, car celui qui m’envoie vers toi ne me l’a pas commandé !
Je te dirai seulement ce qu’il te fait savoir. Si tu t’y soumets, tu en auras
honneur, mais sinon, il te faudra fuir de ton royaume, pauvre et exilé. »
Arthur interrompit l’homme et lui dit : « Ami, trêve de bavardages !
Donne-nous ton message. Je t’assure que rien de mal ne t’arrivera, ni de ma
part ni de la part de tous ceux qui sont ici !
— Roi Arthur, reprit l’homme, vers toi m’envoie le
seigneur et le maître de tous les chrétiens, le roi Rion des Îles, dominateur
de l’Occident et de toute la terre. Vingt-cinq rois sont déjà ses hommes liges !
Il les a soumis par l’épée et leur a enlevé la barbe avec le cuir. Il te somme
de te présenter devant lui et de lui rendre l’hommage qui lui est dû. Fais lire
ces lettres qu’il t’adresse et tu entendras ainsi sa volonté. » Le roi
prit la missive que lui tendait
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