Les chevaliers de la table ronde
après
avoir écouté les bardes et les ménétriers qui racontaient et chantaient les
plus belles histoires d’amour que l’on connaissait à l’époque, on s’assit aux
tables qui avaient été préparées pour un dîner qui fut digne des plus grands
festins des temps passés et présents. Après le repas, les chevaliers allèrent s’escrimer
à la quintaine et tournoyer dans la prairie. Enfin, on servit à boire les plus
délicieuses liqueurs qu’on eût pu trouver dans le royaume. Les convives se
divertirent et se réjouirent autant qu’ils le pouvaient, célébrant dans la joie
et l’allégresse cette journée qui avait débuté par le renouvellement de la
Table Ronde et qui se terminait par le mariage du roi.
Quand vint la nuit, chacun retourna en son logis pour dormir
et se reposer. Mais on conduisit Guenièvre à la chambre nuptiale où le chapelain
bénit le lit conjugal, tandis que des valets aidaient Arthur à se dévêtir. Les
suivantes de la reine parèrent celle-ci de ses plus beaux atours et la
laissèrent seule avec Arthur. Les portes de la chambre furent fermées
soigneusement. Mais le roi et la reine ne s’endormirent que très tard, le matin,
bien après le lever du soleil.
Cependant, le soir de ce beau jour, au moment où Guenièvre
était conduite dans sa chambre et où dames et chevaliers regagnaient leur logis,
le chevalier Guyomarch, qui était cousin de Guenièvre, et qui faisait partie de
l’escorte qui l’avait accompagnée depuis la Carmélide, demeura dans la salle
basse de la forteresse, en grande conversation avec Morgane. Guyomarch était
jeune et beau, impétueux et vaillant, et toutes les jeunes filles de son pays
eussent volontiers consenti à devenir son amie. Or, pendant que se déroulaient
les réjouissances des noces d’Arthur et de Guenièvre, Guyomarch n’avait eu d’yeux
que pour la belle et jeune Morgane.
Morgane était, comme on le sait, la sœur du roi Arthur. Elle
était gaie et fort enjouée, et elle chantait très plaisamment les refrains du
temps passé. Elle avait une chevelure très noire, un visage très bien
proportionné où se dissimulait toujours un sourire qui pouvait inquiéter ceux
qu’elle regardait avec trop d’intensité. Elle était bien en chair, ni trop
grasse ni trop maigre, avec de belles mains, des épaules parfaites, une peau
qui paraissait plus douce que la soie, un corps souple et long, des jambes qu’on
devinait très fines sous sa robe. Bref, Morgane était la plus avenante et la
plus séduisante de toutes les femmes qu’on pouvait rencontrer à la cour du roi
Arthur. Et, avec cela, on prétendait que c’était la femme la plus chaude et la
plus luxurieuse de tout le royaume de Bretagne. Merlin lui avait enseigné l’astrologie
et beaucoup de choses encore, en particulier des sciences qu’il n’était pas bon
de divulguer au commun des mortels ; et elle s’était appliquée de son
mieux à suivre les préceptes et les conseils de celui qu’elle avait choisi
comme maître : c’est pour cette raison que, plus tard, on l’appela Morgane
la Fée, à cause des merveilles qu’elle accomplissait et aussi des sortilèges qu’elle
n’hésitait pas à lancer en certaines circonstances sur ceux qui avaient osé lui
déplaire. Elle s’exprimait avec une douceur et une suavité délicieuses. Son
charme était incontestable. Mais lorsqu’elle se trouvait plongée dans la colère,
il était impossible de l’apaiser : on le vit bien par la suite, pour le
malheur du royaume.
Quand ils eurent conversé un assez long temps, Morgane et
Guyomarch se séparèrent, regagnant chacun ses appartements. Mais au moment où
Morgane se disposait à entrer dans sa chambre, elle aperçut l’ombre de Merlin
qui se projetait sur le mur. Elle se retourna et se mit à rire : « Voici
donc, dit-elle, le véritable triomphateur de cette journée ! Tu peux être
fier et content de toi, Merlin ! Tu as renouvelé la Table Ronde, marié mon
frère à l’héritière de Carmélide, fourni une reine pour alimenter les rêves les
plus louches de ses barons ! Tu as vraiment de quoi te réjouir, car ta
Guenièvre attirera bien des ennuis à ce royaume. Je sais qu’elle causera la
perte de cette Table Ronde que tu as eu tant de mal à faire accepter.
— Je sais cela aussi bien que toi, Morgane, répondit
Merlin, mais qu’y puis-je apporter en fait de remède ? Nous ne pouvons
rien contre le destin lorsque celui-ci a été tracé par Dieu
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