Les chevaliers de la table ronde
jeu commun, comme gens qui
le désiraient ardemment, car si lui le souhaitait, elle ne le souhaitait pas
moins. Et, cette nuit-là, ils demeurèrent si longtemps ensemble qu’ils ne s’aperçurent
même pas de la lumière de l’aube.
Le lendemain, dans la forteresse de Camelot, peu nombreux
furent ceux qui se levèrent de bon matin. Ce ne fut que dans le courant de l’après-midi
que le roi Arthur, en compagnie de la reine Guenièvre et de quelques familiers,
prit une collation sous le couvert d’un pavillon, dans la prairie qui se
trouvait en face de l’entrée de la forteresse. C’est alors qu’une jeune fille d’une
grande beauté s’avança vers le roi, tenant en ses bras le nain le plus
contrefait qu’on eût jamais vu. En effet, il était maigre et avait le nez camus,
les sourcils roux et recroquevillés, les cheveux gros, noirs et emmêlés, la
barbe rouge et si longue qu’elle lui tombait jusqu’aux pieds, les épaules
hautes et courbes, une grosse bosse par-devant, une autre par-derrière, les
jambes brèves, l’échine longue et pointue, les mains épaisses et les doigts
courts.
« Seigneur roi, dit la jeune fille, je viens de bien
loin vers toi pour te réclamer un don. – C’est le devoir d’un roi, répondit Arthur,
d’octroyer un don à ceux qui en demandent [71] . Dis-moi donc, je te
prie, quel est ce don, et je te l’accorderai à condition qu’il n’aille ni
contre mon honneur ni contre celui du royaume [72] . – Eh bien, voici :
je te prie, seigneur roi, d’armer chevalier ce franc jeune homme, mon ami, que
je tiens dans mes bras. Il est preux, courageux et de très haut lignage. S’il l’avait
voulu, il aurait pu être adoubé par le roi Pellès de Listenois [73] ,
mais il a fait serment de ne l’être que par toi ! »
En entendant cette supplique, tous les assistants se mirent
à rire. « Garde bien ton ami, jeune fille ! s’écria Kaï, qui était toujours
prêt à se moquer des autres [74] , et tiens-le près de toi
de peur qu’il ne te soit enlevé par les suivantes de madame la reine ! »
Mais Kaï avait à peine prononcé ces paroles qu’on vit arriver deux écuyers
montés sur de bons roussins. L’un portait une épée et un bouclier noir sur
lequel étaient peints trois léopards d’or couronnés d’azur. L’autre menait en
laisse un petit destrier fort bien taillé dont le frein était d’or et les rênes
de soie. Un mulet les suivait, chargé de deux beaux et riches coffres. Les
écuyers attachèrent les bêtes à un pin, ouvrirent les malles et en tirèrent un
minuscule haubert et des chausses à doubles mailles d’argent fin, puis un
heaume d’argent doré qu’ils apportèrent à la jeune fille. Elle-même sortit de
son aumônière deux petits éperons d’or enveloppés dans une pièce de soie. Kaï
les prit et feignit de vouloir les fixer sur les chevilles du nain, déclarant
qu’il ferait celui-ci chevalier de sa propre main.
« S’il plaît à Dieu, dit la jeune fille, nul ne
touchera mon ami si ce n’est le roi Arthur en personne. Seul un roi peut mettre
la main sur un homme si haut placé que mon ami ! » Arthur vit bien qu’on
ne ferait pas entendre raison à la jeune fille. Il chaussa donc l’un des
éperons au pied droit du nain, tandis que la jeune fille lui bouclait l’autre. Puis
il le revêtit du haubert, lui ceignit l’épée et lui donna la colée en lui
disant, selon la coutume : « Que Dieu te fasse chevalier pour ton
honneur et celui de ton lignage ! »
Il pensait en avoir fini, mais la jeune fille dit encore :
« Seigneur roi, prie-le d’être mon chevalier ! – Volontiers », répondit
Arthur. Et, s’adressant au nain : « Chevalier, dit-il, je te demande
de consacrer ta vie à servir cette jeune fille qui est ton amie. » Le nain
dit alors : « Puisque le roi le veut, je consens volontiers à servir
fidèlement mon amie. » Et, là-dessus, il enfourcha son petit destrier, qui
était de toute beauté et armé de fer. La jeune fille l’aida à monter, puis elle
lui pendit le bouclier au cou, monta elle-même sur son cheval, et tous deux, suivis
de leurs écuyers, s’en furent par la forêt aventureuse.
Les fêtes se terminèrent à Camelot, et bientôt le roi Arthur
décida qu’il tiendrait à la Noël une cour renforcée à Carduel, afin que chacun
des barons pût rendre compte des événements qui s’étaient déroulés dans ses
propres domaines. Au jour dit, ils se présentèrent
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