Les chevaliers de la table ronde
manteau.
Quand Arthur entendit ce message, il devint rouge de colère.
Puis il ordonna de lui apporter ses armes, son cheval et son épée Excalibur. Et
sans attendre plus longtemps, il se précipita au rendez-vous que lui avait fixé
Rion des Îles. Gauvain, Kaï et Bedwyr le suivirent, mais Arthur allait trop
vite pour qu’ils pussent le rattraper et lui être de quelque secours. Ils
durent se contenter de le suivre à distance et furent bien stupéfaits, le lendemain
matin, lorsqu’ils virent revenir le roi sain et sauf et de fort bonne humeur. Sur
l’encolure de son cheval, il portait fièrement le manteau de barbes de Rion des
Îles. Il expliqua à ses compagnons comment il avait lutté longtemps contre son
redoutable adversaire et comment il avait réussi à le vaincre. Il avait alors
pris à Rion, selon les conventions, sa barbe avec le cuir et s’était bien
entendu emparé du manteau, laissant l’orgueilleux roi des Îles aux mains de ses
valets, à charge de soigner ses terribles blessures. Et c’est ainsi que le roi
Arthur revint à Carduel, en compagnie de Gauvain, de Kaï et de Bedwyr. Lorsque
les compagnons apprirent la victoire du roi, ils lui firent grand honneur et
les fêtes se poursuivirent tard dans la nuit [83] .
Mais, le lendemain, Arthur se réveilla au petit matin. Il
avait eu de curieux rêves pendant son sommeil, et ces rêves, bien que diffus et
sans grande consistance, lui avaient été très pénibles. Il lui semblait bien qu’il
s’agissait de la fidélité de son épouse, et cette idée le hantait si fort qu’il
ne put s’empêcher de réveiller Guenièvre. Celle-ci, croyant à un geste de
tendresse, se blottit contre lui, mais le roi ne paraissait guère amoureux. Il
s’assit sur le lit et lui dit : « Écoute-moi bien, Guenièvre, et ne
prends pas à mal ce que je vais te demander. Je suis le roi et, comme tel, je
dois aller combattre ceux qui veulent détruire le royaume que Dieu m’a confié. Ainsi
ma vie est-elle en danger bien souvent, et si Dieu ne me prêtait pas aide et
assistance, il y a longtemps que j’aurais pu mourir. Je m’en suis bien rendu
compte hier en luttant contre ce Rion des Îles qui ne m’aurait pas épargné s’il
l’avait pu : il aurait suffi que Dieu me retirât sa protection pour que je
périsse ! – C’est impossible, répondit Guenièvre, car si Dieu t’a confié
ce royaume, c’est qu’il veut que tu en sois le guide. – Mais, reprit Arthur, il
me faudra bien mourir un jour, et c’est pourquoi une angoisse me vient à l’esprit.
– Aurais-tu peur de la mort, mon cher époux ? » demanda la reine. Arthur
attendit un instant avant de répondre : « Ce n’est pas ma mort que je
crains, douce Guenièvre, mais le sort que subiront après moi ceux que j’ai
aimés ».
Guenièvre s’était à son tour assise sur le lit. « Oui, poursuivit
le roi, je m’inquiète pour toi, douce Guenièvre. Que feras-tu lorsque je ne
serai plus là ? – Je peux te dire que mon chagrin sera immense, répondit
Guenièvre. – Cela, je le sais, dit Arthur, impatienté, mais ce que je voulais
te demander, c’est avec qui tu te remarierais. – Me remarier ! s’écria
Guenièvre. Mais je n’en ai nullement l’intention. Pourquoi ces questions sans
objet ? – Pourtant, reprit Arthur, une femme seule à la tête d’un royaume
ne peut rien faire sans la présence d’un homme. Que tu le veuilles ou non, il
te faudra bien épouser un autre homme lorsque j’aurai disparu. Il y va de la
survie du royaume. Qui donc te paraîtrait le plus capable d’assumer la fonction
royale auprès de toi ?
— Voilà bien une étrange enquête, dit Guenièvre en soupirant.
Comment veux-tu que je le sache ? Tu es jeune, tu es vaillant, tu es l’époux
que j’aime et personne, dans ce royaume, ne conteste ton autorité. » Et
Guenièvre s’allongea, près de retomber dans son sommeil. Arthur était de plus
en plus agacé. Il s’acharna dans son discours, démontrant à la reine qu’il ne s’agissait
pas de sentiments mais d’intérêts relatifs au royaume. Il voulait que Guenièvre
lui révélât un nom. À la fin, comme il se faisait de plus en plus insistant, elle
dit : « S’il le fallait, je choisirais Yder, le fils du roi Nudd, qui
est si courageux et si robuste. C’est en tout cas celui qui me déplairait le
moins. » Cette réponse irrita profondément le roi, mais il n’en laissa
rien paraître. Il sentait pourtant monter en lui
Weitere Kostenlose Bücher