Les chevaliers de la table ronde
être amoureux de la fille de Guenguasœn, la
jeune Guenloie, dont la beauté est plus radieuse que la plus douce aurore d’un
jour d’été. Et ce ne peut être que celui qui aura réussi à prendre les anneaux
que Raguidel avait à son doigt. Tu es l’un des deux chevaliers qui doit me
venger, seigneur, mais tu ne pourras rien accomplir seul.
— C’est ce qu’on verra ! s’écria Gauvain. De toute
façon, je partirai à la recherche de Guenguasœn et je le combattrai ! Dieu
me maudirait si je n’allais pas au terme de cette aventure ! » Et, guidé
par la jeune fille, Gauvain se dirigea vers la forteresse de Guenguasœn, qui
était haute et bien bâtie, à l’abri entre les deux pentes d’une vallée profonde.
Quand Guenguasœn vit qu’un chevalier arrivait devant sa forteresse et
manifestait des intentions belliqueuses, il prit ses armes, monta sur son
cheval et, suivi par l’ours qui l’accompagnait toujours, il se prépara au
combat. Gauvain se précipita sur lui, la lance baissée, mais la lance se brisa
subitement sans qu’elle atteignît quoi que ce fût. Gauvain revint à l’attaque
avec son épée : celle-ci lui échappa des mains. Alors, il saisit le
tronçon de lance et, lançant son cheval le plus vite possible, il en frappa
Guenguasœn. Celui-ci poussa un cri terrible, car il avait été rudement blessé
au bras. Mais il ne se tint pas pour vaincu : il railla Gauvain, l’accusant
d’être un fanfaron, puis, suivi de son ours, il partit au galop, laissant son
adversaire désemparé. Gauvain alla ramasser son épée. « Seigneur, dit la
jeune fille qui avait assisté au combat, je t’avais bien prévenu que tu ne
pouvais rien accomplir seul ! – Qu’importe ! s’écria Gauvain. Je le poursuivrai
jusqu’en enfer ! » Et, sans plus attendre, il éperonna le Gringalet
et s’élança dans la direction qu’avait prise Guenguasœn.
Pendant ce temps, le chevalier qui avait ôté les cinq
anneaux du doigt de Raguidel, c’est-à-dire Yder, fils du roi Nudd, avait
poursuivi son chemin. Lui, il savait exactement où il allait et connaissait
fort bien le pays de Guenguasœn, car, depuis de longues semaines, il ne pouvait
chasser de son esprit l’image de la belle Guenloie [85] ,
la fille de Guenguasœn, dont il était éperdument amoureux. C’est pourquoi, prêt
à tout tenter pour obtenir Guenloie, il s’était décidé à tenter l’épreuve, et
cela à l’insu de tous les autres chevaliers. Or, il avait vu la nef magique aborder
sur le rivage et reconnu Gauvain. Il l’avait suivi de loin et avait été témoin
du combat mené contre Guenguasœn. Et maintenant, sans se faire remarquer, il
chevauchait à la suite de Gauvain et de la jeune fille.
C’est Yder qui rejoignit le premier Guenguasœn. Dès que celui-ci
le vit, il envoya l’ours à sa rencontre. Yder sauta de son cheval et lutta
contre l’ours avec un tel acharnement qu’il parvint à l’étouffer entre ses bras
robustes. Guenguasœn voulut se précipiter vers Yder, mais à ce moment-là
Gauvain surgit brusquement et renversa Guenguasœn. Celui-ci se vit perdu et, pour
gagner du temps, proposa à Gauvain de le combattre avec des armes ordinaires, sans
faire usage de ses pouvoirs magiques. « Non ! répliqua Gauvain. Tu
dois mourir pour le meurtre que tu as commis envers le chevalier Raguidel, et
je ne t’épargnerai que si tu demandes grâce à cette jeune fille dont tu as tué
l’ami. » Guenguasœn refusa tout net. Alors Gauvain prit le tronçon de
lance et l’enfonça dans le cœur de Guenguasœn.
Quand les vassaux de Guenguasœn apprirent la nouvelle que
leur seigneur venait de périr, ils furent bien soulagés, car ils avaient
beaucoup souffert de la tyrannie du vaincu. Ils vinrent rendre hommage à
Gauvain, lui proposant les domaines et la fille de Guenguasœn, la belle
Guenloie.
« Gauvain, dit alors Yder, au nom de notre amitié et du
serment que nous avons échangé quand nous avons pris place à la Table Ronde, je
te demande de renoncer en ma faveur à ce qu’on te propose. Car j’aime la belle
Guenloie depuis bien longtemps, et c’est pour elle que j’ai entrepris cette
aventure, autant que pour accomplir la vengeance de Raguidel. Et sache que si
tu réponds favorablement à ma demande, je me reconnaîtrai ton homme lige et je
te servirai toujours fidèlement dans la mesure de mes moyens. – Bien volontiers,
dit Gauvain, car je ne me suis engagé dans cette aventure que pour
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