Les chevaliers de la table ronde
une jalousie incontrôlée à l’égard
du fils de Nudd, et il se demanda un instant s’il n’allait pas confier à
celui-ci une mission dangereuse de laquelle il ne reviendrait pas. Il se leva
sans ajouter un mot, se vêtit, sortit de la chambre et s’en alla marcher dehors [84] !
Il n’y avait que quelques gardes à la porte de la forteresse.
Arthur franchit le pont-levis et s’éloigna en direction de la rivière dont il
se mit à longer le cours, assez large à cet endroit, puisque la mer était très
proche. Il était plongé dans ses méditations quand il vit s’échouer non loin de
lui une barque qui semblait riche et bien décorée. Il n’y avait personne dans
cette barque. Intrigué, le roi monta à bord et, sous un auvent, il découvrit le
corps d’un chevalier mort, étendu sur un char. Et sa surprise ne fit que croître
lorsqu’il remarqua que le chevalier avait conservé le fer d’une lance avec un
tronçon du bois de la hampe fiché dans sa poitrine. Ayant remarqué une
aumônière attachée à la ceinture du mort, il l’ouvrit, mais elle ne contenait
qu’une lettre. Arthur prit la lettre et revint vers la forteresse.
Il était fort intrigué par l’aventure, mais il lui fallait
quelqu’un pour lire cette lettre et savoir ainsi qui était ce mystérieux
chevalier. Il demanda aux gardes d’appeler Merlin ; mais on lui répondit
que Merlin était parti depuis déjà deux jours et que personne ne savait où il
était allé. Arthur dut attendre le réveil de son chapelain. Entre-temps, tous s’étaient
levés dans la forteresse et l’on avait bien remarqué la barque échouée juste en
face.
Enfin, le chapelain lut à haute voix la lettre devant Arthur
et quelques-uns des compagnons qui s’étaient rassemblés sur le rivage, près de
la barque. Ils apprirent ainsi que le défunt demandait à être vengé de celui
qui l’avait tué à tort. Mais ce qui était surprenant, c’est que la missive ne
signalait ni le nom de la victime, ni le nom de son pays, ni le nom de son
meurtrier. Par contre était indiquée la manière dont la vengeance devait s’accomplir.
En effet, il était précisé que seul celui qui parviendrait à retirer du cadavre
le tronçon de lance qui s’y trouvait enfoncé pourrait châtier le coupable. Et c’est
avec le tronçon de lance que devait être frappé le meurtrier. Mais, pour
achever l’aventure et rendre ainsi justice, le vengeur devrait recevoir l’assistance
d’un compagnon, celui qui réussirait à ôter du doigt de la victime les cinq
anneaux qui y étaient passés.
Arthur fit alors transporter le char sur lequel gisait le
chevalier inconnu sur la terre ferme, et saisit le tronçon de lance avec l’intention
de l’arracher. Il n’y parvint pas. Kaï essaya à son tour, puis Bedwyr, mais ni
l’un ni l’autre ne réussirent l’épreuve. Ceux des compagnons d’Arthur qui se
trouvaient présents échouèrent de la même façon : il était impossible, même
en utilisant toute son énergie, de retirer le fer de la plaie. C’est alors qu’arriva
Gauvain. S’étant fait raconter les détails de l’événement, Gauvain voulut, lui
aussi, tenter sa chance, et, à la stupéfaction générale, sans aucun effort, il
brandit bientôt le fer trempé de sang coagulé, avec le débris de la hampe qui s’y
trouvait encastré. « Beau neveu ! s’écria Arthur, c’est donc à toi
que revient l’honneur de venger ce chevalier dont nous ne savons ni le nom ni
le pays d’origine. Que Dieu te protège et te permette de mener à bien cette mission
qui engage notre honneur à tous ! »
Gauvain fit demander ses armes, fit seller son cheval et fit
ses adieux à la cour. « Mais où iras-tu ? demanda Arthur. – Là où le
Gringalet, mon cheval, me conduira », répondit simplement Gauvain. Il
sauta en selle, piqua des deux et s’éloigna le long de la rivière. Après quoi, le
roi retourna auprès du cadavre et se mit en devoir de retirer de son doigt les
cinq anneaux. Il n’y parvint pas, et tous s’y essayèrent les uns après les
autres durant toute la matinée. On emmena le corps jusqu’à la chapelle de la
forteresse et on y chanta la messe des défunts. Mais au moment de mettre le
corps dans la fosse qui avait été préparée dans le cimetière attenant, Kaï s’écria
tout à coup : « Regardez ! Les anneaux ne sont plus à son doigt ! »
On se précipita et on vit bien que Kaï n’avait pas menti.
« Qui donc a pu retirer ces
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