Les chevaliers de la table ronde
cacherai pas plus longtemps ! » Il envoya un serviteur
chercher son fils, qui se trouvait toujours chez la nourrice à qui on l’avait
confié dès sa naissance. Il fut alors présenté à sa marâtre. Celle-ci lui dit :
« Tu ferais bien de prendre une femme. J’ai justement une fille qui conviendrait
à n’importe quel noble fils de roi. » Kilourh fut fort surpris de ce
discours. « Je ne suis pas encore en âge de me marier », dit-il. La
marâtre fut saisie par la colère. « Je jure, s’écria-t-elle, que tu auras
cette destinée, que ton flanc ne se choquera jamais à celui d’une femme tant
que tu n’auras pas obtenu Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ! »
Kilourh se mit à rougir, car l’amour d’Olwen venait de pénétrer
dans tout son corps et dans tous ses membres, bien qu’il ne l’eût jamais vue [90] .
Son père lui dit : « Pourquoi changes-tu ainsi de couleur, mon fils ? »
Kilourh lui répondit : « Ma marâtre m’a juré que je n’aurais jamais d’autre
femme qu’Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr. – Eh bien ! Va donc chez
son père et demande-lui sa fille ! – C’est que, reprit Kilourh, je ne sais
pas qui est cette Olwen, ni où réside son père, Yspaddaden Penkawr. – Moi non
plus », dit le père. Il envoya aussitôt des serviteurs s’informer, mais
ils revinrent en disant que personne ne connaissait Olwen, ni Yspaddaden
Penkawr. « Je suis bien malheureux, dit Kilourh, car je n’aurai jamais de
femme [91] ! – Non, dit Kiliz
à son fils. Je vois un moyen de te tirer d’embarras : le roi Arthur est
ton cousin. Va le trouver pour qu’il arrange ta chevelure [92] ,
et demande-lui son aide à propos de cette Olwen, fille d’Yspaddaden Penkawr. »
Sans plus attendre, le jeune homme partit sur un coursier à
la tête grise, vieux de quatre hivers, aux cuisses puissamment musclées, aux
sabots brillants comme des coquillages, avec une bride aux chaînettes d’or, avec
une selle d’or de grand prix. Kilourh portait deux javelots d’argent bien
aiguisés et une lance à pointe saillante, d’une bonne coudée jusqu’à la pointe
en prenant pour mesure le coude d’un homme de forte corpulence, capable d’atteindre
le vent et de lui tirer du sang : elle était plus rapide que la chute de
la première goutte de rosée de la pointe du roseau sur le sol au moment où elle
est la plus abondante, au mois de juin [93] . À sa hanche pendait une
épée à poignée d’or, à lame d’or, à la garde formée d’une croix émaillée d’or
et de la couleur de l’éclair du ciel.
Devant lui s’ébattaient deux lévriers au poitrail blanc, à
la peau tachetée, portant chacun au cou un collier de rubis allant de la
jointure de l’épaule à l’oreille. Celui de gauche passait à droite, celui de
droite à gauche, jouant ainsi avec lui comme deux hirondelles de mer. Les
quatre sabots de son coursier faisaient voler quatre mottes de gazon, comme deux
hirondelles dans les airs, par-dessus sa tête, tantôt plus haut, tantôt plus
bas. Kilourh avait revêtu un manteau de pourpre à quatre pans, une pomme d’or à
chaque extrémité, de la valeur de cent vaches chacune [94] .
Sur ses chausses et ses étriers, depuis le haut de la cuisse jusqu’au bout de
son orteil, il y avait de l’or pour la valeur de trois cents vaches. Pas un
brin d’herbe ne pliait sous lui, si léger était le trot du coursier qui l’emportait
ainsi à la cour d’Arthur.
Kilourh, après avoir chevauché trois jours et trois nuits, parvint
devant la forteresse de Carduel, où le roi Arthur avait retenu près de lui
quelques-uns de ses plus fidèles compagnons afin de discuter des grandes
affaires du royaume. Il y avait là Kaï, son frère de lait, dont il avait fait
son sénéchal, il y avait là Bedwyr, qui ne supportait pas qu’on pût dire la
moindre parole désagréable à l’encontre d’Arthur, il y avait là Gauvain, le
neveu d’Arthur qu’il avait désigné pour être son successeur, le fils de sa sœur
Anna et du roi Loth d’Orcanie, et puis encore Yvain, le fils du roi Uryen, Yder
et Gwynn, fils du roi Nudd, Girflet, fils de Dôn, Bedwin, le chapelain d’Arthur,
Merlin, son sage conseiller, ainsi que quelques autres qui avaient à donner
leur avis sur tous les sujets qu’il plairait à Arthur d’aborder.
Kilourh entra dans la forteresse, se fit montrer le logis d’Arthur
et s’y présenta. Mais le portier l’arrêta : « Où veux-tu donc aller,
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