Les chevaliers de la table ronde
car il aimait celui-ci comme un
frère. Bedwyr était très grand et avait de très longues jambes : personne
ne l’égalait à la course dans toute l’île de Bretagne. Et quoiqu’il n’eût qu’une
seule main, trois combattants ne faisaient pas jaillir le sang plus vite que
lui sur le champ de bataille. Il avait encore un autre privilège : sa
lance produisait une blessure en entrant dans la chair, mais elle en produisait
neuf en s’en retirant. Et Bedwyr dit qu’il acceptait volontiers d’accompagner
Kaï et Kilourh dans leur recherche d’Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr, dont
personne, jusqu’alors, n’avait jamais entendu parler dans toute l’île de
Bretagne et dans les îles adjacentes.
Après cela, Arthur s’adressa à Gauvain, son neveu, fils de
sa sœur et du roi Loth d’Orcanie : il ne revenait jamais d’une mission
sans l’avoir menée à son terme. C’est pourquoi Arthur lui demanda de partir
avec Kaï et Bedwyr pour accompagner Kilourh dans sa recherche. Enfin, il invita
Merlin à se joindre à eux [100] , parce que celui-ci
connaissait toutes les langues que parlaient les hommes et même celles que
parlaient les animaux, et que, en cas de grand danger, Merlin était le seul à
pouvoir jeter charmes et enchantements sur eux-mêmes comme sur leurs ennemis, et
même sur les terres qu’ils traverseraient dans leur expédition à la recherche d’Olwen,
fille d’Yspaddaden Penkawr, dont personne, jusqu’alors, n’avait jamais entendu
dire quoi que ce fût.
Ils quittèrent immédiatement la forteresse de Carduel et s’en
allèrent jusqu’à une vaste plaine dans laquelle ils aperçurent une immense
forteresse, la plus imposante du monde. Ils cheminèrent jusqu’au soir, mais
lorsqu’ils s’en croyaient tout près, ils s’apercevaient qu’ils n’en étaient pas
plus rapprochés que le matin. Ils allèrent ainsi pendant deux jours. Ils
continuèrent pendant trois jours, et c’est à peine s’ils purent l’atteindre. Quand
ils furent devant la forteresse, ils aperçurent un troupeau de moutons comme
jamais ils n’en avaient encore vu, innombrable et prodigieux. Du sommet d’un
tertre, un berger, vêtu d’une casaque de peau, le gardait. À côté de lui était
couché un dogue aux poils hérissés, plus grand qu’un étalon de neuf hivers. Aucune
compagnie, quelle qu’elle fût, ne pouvait passer à côté de ce chien sans s’attirer
quelque dommage, une blessure ou quelque autre inconvénient. Ses yeux ne
quittaient jamais l’horizon et son haleine était si ardente qu’elle brûlait
tout ce qu’il y avait d’herbes ou de buissons autour de lui. Kaï dit à Merlin :
« Va donc parler à cet homme, là-bas, car j’ai bien peur qu’il n’envoie
sur nous ce chien qui me semble redoutable. » Merlin se mit à rire et dit :
« Kaï, je n’ai promis d’aller que jusqu’où tu iras toi-même ! – Très
bien, répondit Kaï, j’irai donc avec toi. » Merlin continua à rire :
« N’aie pas peur, Kaï, dit-il, j’enverrai un charme sur le chien de telle
manière qu’il ne fasse de mal à personne ! »
Ils se rendirent donc auprès du berger et lui dirent :
« Es-tu riche, berger ? – À Dieu ne plaise que vous soyez jamais plus
riches que moi ! répondit-il, mais si j’étais vraiment riche, je ne
passerais pas mon temps à garder ces troupeaux ! » Kaï lui demanda :
« À qui sont ces brebis que tu gardes, et cette forteresse qu’on voit
là-bas ? – Vous êtes vraiment sans intelligence ! On sait dans tout l’univers
que c’est la forteresse d’Yspaddaden Penkawr [101] ! – Et toi, qui
es-tu ? – Kustennin, fils de Dyvnedic. C’est à cause de mes biens que m’a
réduit en cet état mon frère Yspaddaden Penkawr. Mais vous-mêmes, qui êtes-vous ?
– Des messagers d’Arthur, venus ici pour rechercher Olwen, la fille d’Yspaddaden
Penkawr. – Hommes, que Dieu vous protège ! Abandonnez votre projet, car
personne n’est venu faire cette démarche qui s’en soit retourné en vie ! »
Comme le berger se levait pour partir, Kilourh lui donna une
bague en or. Il essaya de la mettre, mais, comme elle ne lui allait pas, il la plaça
sur un doigt de son gant et s’en alla vers sa maison. Il donna le gant à sa
femme. Elle retira la bague du gant et la rangea soigneusement, disant :
« Homme, d’où te vient cette bague ? Il ne t’arrive pas souvent d’avoir
une telle aubaine ! – J’étais allé chercher
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