Les chevaliers de la table ronde
de la nourriture sur le rivage,
lorsque, tout à coup, j’ai vu un cadavre venir avec le flot. Jamais je n’en
avais vu de plus beau. C’est sur son doigt que j’ai pris cette bague. » La
femme dit encore : « Montre-moi donc le cadavre ! – Tu le verras
bientôt, car il viendra jusqu’ici [102] . – Qui est-ce ? – Kilourh,
fils de Kiliz et fils de ta sœur Goleuddydd. Il est venu pour demander Olwen
comme femme. » Elle fut partagée entre deux sentiments : elle était
joyeuse à l’idée de voir son neveu, le fils de sa sœur, mais elle était triste
en pensant qu’elle n’avait jamais vu revenir en vie ceux qui étaient allés
faire une telle demande.
Kilourh et ses compagnons se dirigèrent vers la maison de
Kustennin le berger. La femme les entendit venir et courut joyeusement à leur
rencontre. Elle les embrassa tous avec fougue et les conduisit à l’intérieur de
la maison où elle les servit abondamment. Puis, comme tout le monde sortait
pour prendre l’air, la femme ouvrit un coffre de pierre qui se trouvait près du
foyer, et un jeune homme aux cheveux blonds frisés en sortit. « C’est
pitié, dit Merlin, de cacher un pareil garçon ! Je suis sûr que ce n’est
pas en punition de ses fautes qu’on le garde ainsi prisonnier ! – Celui-ci
est un rescapé, dit la femme. Yspaddaden Penkawr m’a tué vingt-trois fils, et
je n’ai même pas plus d’espoir de conserver celui-ci que les autres ! – Qu’il
me tienne compagnie, dit alors Kaï, et je prendrai soin de lui : il ne
sera tué que si je suis tué moi-même ! »
Le soir, ils se remirent à table. « Pour quelle affaire
êtes-vous venus ? » demanda la femme. Kaï répondit : « Nous
sommes venus demander Olwen pour ce jeune homme – Pour l’amour de Dieu ! puisque
personne ne vous a encore aperçus de la forteresse, retournez sur vos pas !
– Non, dit Kaï, nous ne repartirons pas avant d’avoir vu la jeune fille ! Vient-elle
parfois de ce côté ? – Oui, répondit la femme, elle vient ici tous les
samedis pour se laver la tête [103] . Elle laisse toutes ses
bagues dans le bassin où elle se lave et elle ne revient jamais les reprendre, pas
plus qu’elle n’envoie quelqu’un pour les chercher [104] .
– Est-ce qu’elle viendrait si tu l’en priais ? demanda Merlin. – Oui, répondit-elle,
mais je ne le ferai que si vous me promettez de ne lui faire aucun mal ! »
Ils jurèrent tous qu’ils ne feraient aucun mal à la jeune fille et qu’ils ne l’emmèneraient
pas contre sa volonté. Alors, la femme du berger envoya quelqu’un demander à
Olwen de venir.
La jeune fille vint bientôt. Elle était vêtue d’une chemise
de soie rouge flamme. Elle avait autour du cou un collier d’or rouge, rehaussé
de pierres précieuses et de rubis. Plus blonds étaient ses cheveux que la fleur
du genêt, plus blanche sa peau que l’écume de la vague, plus éclatants ses
doigts que le rejeton du trèfle des eaux émergeant du petit bassin formé par
une fontaine jaillissante. Son regard était plus clair que le regard du faucon
après une mue ou celui du tiercelet après trois mues. Son sein était plus blanc
que la poitrine du cygne, ses joues plus rouges que la plus rouge des roses. On
ne pouvait la voir sans être entièrement pénétré de son amour. Quatre trèfles
blancs naissaient sous ses pas partout où elle allait : c’est pourquoi on
l’avait appelée Olwen, c’est-à-dire « Trace Blanche ».
Elle entra et alla s’asseoir sur le banc principal à côté de
Kilourh. Il lui dit : « Jeune fille, c’est toi que j’aimais depuis si
longtemps. Viens avec moi dans mon pays, et je t’épouserai. – Je ne le peux en
aucune façon, répondit-elle, car mon père m’a fait donner ma foi que je ne m’en
irai jamais sans qu’il me le permette. Il a été dit en effet qu’il ne doit
vivre que jusqu’au moment où je m’en irai avec un époux. Il y a cependant
quelque chose que tu peux faire, si tu y consens : va me demander à mon
père, et tout ce qu’il te demandera de lui procurer, promets qu’il l’aura. Mais
prends bien garde de ne jamais le contrarier. C’est seulement si tu promets
tout ce qu’il te demandera en échange de moi que tu pourras m’obtenir, et tu
pourras même t’estimer heureux si tu en réchappes avec la vie sauve. – Je le
ferai », dit Kilourh.
Elle s’en retourna vers la forteresse, et ils se levèrent
pour la suivre. Ils tuèrent les neuf
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