Les chevaliers du royaume
que nous ne l’aurons pas retrouvée, tant que vous ne l’aurez pas retrouvée, interdiction de porter la croix sur votre manteau. N’oubliez jamais que c’est vous qui êtes à son service, et non l’inverse. »
Ce à quoi les quelques hommes de l’unité d’élite du Temple avaient répondu d’une seule voix en reprenant le cri des premiers croisés : « Le Christ vit, le Christ règne, le Christ seul commande ! »
Certains étaient si enragés qu’ils parlaient, si jamais Jérusalem venait à tomber, d’aller prendre La Mecque et Médine, et d’y commettre tant de ravages que l’enfer en comparaison serait le paradis.
La plupart refaisaient l’histoire, s’emportant contre ces croisés de la première heure qui n’avaient pas su aller jusqu’au bout de leur mission et s’en étaient repartis après avoir libéré Jérusalem, alors qu’il eût fallu pousser jusqu’à Bagdad pour s’assurer la victoire.
Le plus fou d’entre eux, le plus terrible aussi, était ce colosse appelé Kunar Sell, à la croix rouge tatouée sur le front. Simon et lui étaient allés à Damas défier l’autorité mahométane. Leur mission consistait à acheter un esclave, un ancien chevalier de l’Hôpital répondant au nom de Morgennes. Simon ne le connaissait pas, ne savait rien des raisons pour lesquelles il fallait « s’emparer » de cet homme, mais s’était exécuté sans mot dire.
Simon était heureux. Enfin !
Quelques jours après cette mission, qui s’était soldée par un échec mais leur avait permis de se faire de nouveaux alliés, un pigeon voyageur s’était posé au Chastel Blanc. Les Templiers de la première loi – neuf en tout, comme l’étaient les premiers « Pauvres chevaliers du Christ » – avaient immédiatement quitté la forteresse pour rallier un bataillon de fidâï détaché d’El Khef par le puissant chef des Batinis, Rachideddin Sinan. Quelques bédouins de la tribu des Maraykhât les accompagnaient. Ensemble, ils avaient attaqué une caravane chargée de convoyer de l’or pour le compte de l’Hôpital. L’étendard de saint Pierre avait été confié à Simon, ce qui était un grand honneur. Sous son heaume blanc, il était rouge de plaisir.
Pourtant, jamais il n’aurait cru possible de s’allier à des Mahométans. Quant à combattre des chrétiens… Mais leur sénéchal, un homme emmailloté de chaînes et monté sur un cheval rouge sang, leur avait dit : « Dieu le veut ! C’est le Christ qui commande ! »
Ils avaient chargé au cri de « Montjoie ! ».
Simon s’était dit que les Hospitaliers avaient dû commettre une faute horrible. Qu’ils étaient sur la voie du péché. Certainement, on lui expliquerait tout plus tard. Le pape était de son côté. Il n’avait rien à craindre. Non content d’être un miles Christi, il se doublait d’un miles sancti Pétri (soldat du pape). Il ne pouvait avoir tort. Dieu était avec lui. Il s’appliquait à lutter sans haine et sans pitié contre ces égarés, pleurant sous son heaume, mouillant sa courte barbe de larmes en décimant ces chevaliers de l’Hôpital qui préféraient mourir plutôt que de le frapper. Il se rassérénait en se répétant ce que Wash el-Rafid leur criait chaque fois qu’ils partaient se battre : « Dieu efface les fautes de ceux qui combattent pour Lui. » Ce que Simon ignorait, c’est que c’était un verset du Coran. Au sein de l’unité d’élite du Temple, Simon avait le sentiment d’assouvir tout ce à quoi son âme, son cœur, sa soif d’aventure et ses forces physiques aspiraient. Il n’y avait plus contradictions ni souffrances, il n’y avait qu’une grande joie exaltante, l’impression d’être unique, de vivre un moment historique. La certitude qu’il se distinguait enfin des autres Roquefeuille. Ici, ce n’était plus « Simon le peu », comme l’appelaient autrefois ses frères, celui qui portait le moins, celui qui courait le moins vite, celui qui n’en pouvait plus de boire et de manger tandis que tous continuaient. Ici, c’était Simon saint Pierre, Simon l’étendard, Simon la bannière ou Simon Rome. Enfin, chaque jour les Templiers blancs le baptisaient d’un nouveau nom. Simon était si fier.
En échange de l’or des Hospitaliers, les Assassins leur avaient remis un curieux céphalotaphe et une jeune femme – une otage qu’ils avaient capturée sur la route de Bagdad. Elle s’appelait Cassiopée. Mais pourquoi valait-elle
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