Les chevaliers du royaume
d’une carriole tirée par un petit âne.
Simon avait failli à son devoir, et se morigéna aussitôt : il serra la pierre des créneaux jusqu’à s’en faire blanchir les articulations. Puis il saisit le cor qu’il avait pris aux Hospitaliers et sonna l’alerte. Des bruits de pas retentirent dans l’escalier. Quelqu’un montait les marches en courant.
Kunar Sell le rejoignit au sommet du donjon et l’interrogea :
— Que se passe-t-il ?
— Un homme en noir, avec une carriole.
Kunar les observa un certain temps, puis dit à Simon :
— Ce ne sont pas ceux que nous attendons…
Simon lui demanda à qui il faisait allusion, mais Kunar ne l’écouta pas et se tourna vers le cavalier noir, qui n’était plus qu’à quelques arpents. Il le héla de toute la force de ses poumons :
— Qui êtes-vous ?
L’homme ne répondit pas. Peut-être n’avait-il pas entendu. Kunar et Simon crièrent ensemble, après avoir pris une profonde inspiration :
— Qui êtes-vous ?
Le cavalier ne répondait toujours pas, et continuait vers eux.
Alors, ils dévalèrent à toute vitesse l’escalier de la tour, traversèrent en courant la salle des chevaliers, et se hâtèrent vers la barbacane, à l’avant du château, où se manœuvrait la première herse.
L’homme en noir et la petite carriole étaient à portée de lance lorsque Simon demanda, sur un ton impérieux :
— Qui êtes vous ? Par le Christ, allez-vous répondre !
Le cavalier tira sur les brides de son cheval et répondit :
— Je m’appelle Morgennes !
— Par le Christ tout-puissant ! jura Simon, qui n’en revenait pas.
Déjà, à ses côtés, Kunar Sell actionnait avec frénésie la roue qui relevait la herse.
18.
« Ayez à cœur d’employer la tromperie dans la guerre, car elle vous permet d’arriver au but d’une façon plus certaine que la bataille dans un corps à corps sanglant. »
(Le grand stratège al-Mouhallab,
dans son testament.)
Morgennes regarda la herse se lever, et fit faire quelques pas à Isabeau. De l’autre côté de la barbacane se trouvait un espace de terrain vierge, qui donnait sur les murailles de La Fève et une seconde herse, qui commença à s’effacer. Des hommes en armes, sur les premiers créneaux, vinrent à sa rencontre en courant, la main sur l’épée ou la lance au poing ; tandis qu’au sommet du chemin de ronde principal des arbalétriers et des archers se mettaient en position – sous la houlette d’un individu à la peau sombre, au chef coiffé d’un turban. Morgennes ne s’expliqua pas cette agitation. Qui étaient ces gens ? Étaient-ce les Sarrasins ? Si tôt ?
— Je viens en ami ! Je ne suis pas armé ! cria-t-il en levant une main.
Mais des turcopoles lui arrachèrent les rênes d’Isabeau et s’approchèrent de la carriole pour la mener à l’écart. Massada, qui avait sauté à terre peu avant, fut rattrapé par des cavaliers sortis précipitamment. Il fut ramené à la pointe d’une lance, s’égosillant :
— Morgennes ! Tu me le paieras !
On le traîna par une poterne à l’intérieur du château, où ses cris s’éteignirent. En un instant, la carriole, Carabas, Fémie, Yahyah, Babouche, Massada… s’éclipsèrent comme s’ils n’avaient jamais existé. Morgennes resta seul au milieu des soldats. En quête d’un peu d’espoir, il leva son œil au ciel – mais le faucon n’y était plus.
— Pied à terre ! ordonna l’un des Templiers qui l’avaient encerclé.
Morgennes l’examina, et vit qu’il s’agissait d’un tout jeune homme. Son uniforme ne portait pas la croix rouge des Templiers ordinaires. Il essaya de deviner ses intentions, et se demanda jusqu’où cette jeune oie blanche irait s’il désobéissait. C’est alors que, dans un bruit de ferrailles, la herse de la barbacane s’abattit lourdement derrière lui, l’emprisonnant dans la première enceinte de La Fève. Comme il voyait s’abaisser la seconde herse, juste en face, il dit :
— Je me rends.
Mais c’était compter sans le tempérament impétueux d’Isabeau, qui se cabra et rua des quatre fers quand Morgennes voulut descendre de selle. Les turcopoles et le Templier furent jetés à terre, et Morgennes dut s’accrocher au cou de sa monture pour ne pas tomber. Reprenant confiance en sa bonne étoile, il éperonna les flancs d’Isabeau, et fila en direction de la seconde herse, qu’il parvint à franchir de justesse en s’aplatissant
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