Les chevaliers du royaume
aussi cher ? Pourquoi les Templiers la voulaient-ils ? Simon n’en savait rien. Mais il ne se lassait pas d’admirer sa beauté. Elle avait été violée et battue à de nombreuses reprises. Pourtant, sous les ecchymoses et les traces de tortures, sa grâce était une lumière qui devait profondément le marquer. Il avait sans cesse en tête l’image de cette jouvencelle à la peau brunie, aux yeux bleus et à la chevelure châtain, qui pestait et mordait dès qu’on lui ôtait son bâillon et griffait quand elle avait les mains libres. Ordre avait été donné de ne pas la quitter des yeux et de la maintenir sous étroite surveillance, tâche dont Simon s’acquittait avec bonheur quand son tour venait. Il réclamait les premiers tours de garde. Il la contemplait, allongée sur les dalles d’un cul de fosse, et partait lui chercher une natte de joncs, une courtepointe ou un samit oriental, en fonction de l’heure, de l’endroit où ils étaient et de ce dont ils disposaient.
En cet instant, elle était enfermée dans les geôles du château de La Fève, puisque c’est là qu’ils séjournaient. Simon lui avait apporté un tapis de selle, en s’excusant de n’avoir trouvé mieux. La belle avait roulé le tapis en boule sous sa tête. Rien. Pas un regard. Alors, sans un mot, Simon s’en était allé au sommet du donjon où il devait faire le guet. Ce soir, il n’aurait pas le droit de la regarder dormir. Peut-être demain ? Qui savait combien de temps ils resteraient à La Fève ? Seuls leur sénéchal et l’émissaire du pape, à qui le vexillum de saint Pierre avait ouvert les grilles du château, semblaient le savoir.
Penché par-dessus les créneaux, il chercha à discerner dans la lumière rasante du couchant les sommets du djebel Ansariya. Ils devaient s’élever au nord, mais il ne les voyait pas. Ce qui ne le surprit guère. Cela faisait un certain temps déjà qu’ils avaient laissé derrière eux les pics enneigés de l’Ansariya, et même ceux du mont Hermon. Leur unité avait parcouru en quelques jours plus de distance que Simon n’en avait franchi durant ces trois années passées à se morfondre en Occident. Il lui semblait également que ces distances, traversées à une vitesse phénoménale en changeant plusieurs fois de monture, n’étaient pas seulement physiques, mais aussi morales.
C’est alors qu’un cri d’oiseau retentit dans le ciel. Simon, tout en continuant de s’abriter les yeux avec la main, le fixa du regard. C’était un oiseau de haut vol. Son plumage était bleu-gris teinté de brun, et son envergure de la taille d’une lance. Combien de mues avait-il ?
Il pensa à Wash el-Rafid. Il s’exerçait souvent au tir sur les pigeons voyageurs des armées de Saladin, et même sur des rapaces. Simon se dit qu’il ferait bien de l’avertir.
Mais, captivé par la beauté des évolutions du faucon, Simon ne bougea pas. Il continua de regarder l’oiseau, qui semblait ne rien faire d’autre que saluer la tombée du soir. Son cri lui disait quelque chose, lui rappelait quelqu’un. Oui, il avait déjà entendu cet appel, comme une plainte, comme un cri de douleur, un gémissement… Il eut alors une illumination : c’était celui qui volait au-dessus de la forteresse d’El Khef, fief des Batinis.
Simon l’avait pris pour un prédateur ayant son aire dans ces montagnes. Apparemment, ce n’était pas le cas. À qui appartenait-il ? Aux Assassins ? À Cassiopée ?
Et lui qui n’avait pas signalé sa présence ! Vite, prévenir le seigneur el-Rafid et la garnison ! Il s’apprêta à donner de la voix dans l’escalier en colimaçon de la tour de guet mais eut envie de voir, une dernière fois, cet oiseau.
Simon était sous le charme des larges cercles nonchalants, suivis de lents vols planés, que le faucon traçait dans le ciel : il s’élevait sans battre des ailes, sans effort apparent, puis, les pattes plaquées sous son corps trapu, se ramassait sur lui-même et se laissait tomber comme une pierre, rouvrait les ailes et remontait en spirale dans la lumière avec un sifflement aigu. Son vol était fait de voltes et de feintes, ponctuées de longues plaintes. Pourquoi, pour qui dansait-il ainsi ? Car il n’y avait aucun doute, l’oiseau ne chassait pas, il dansait.
Saisi par la curiosité, Simon se pencha par-dessus les créneaux, et regarda dans la plaine, jusqu’au pied du mont Thabor. Il vit un homme en noir sur un cheval noir, suivi
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