Les chevaliers du royaume
château à l’autre, sans que jamais rien ne se passe. Les premières gardes sont toujours pour moi. J’ai patienté trois longues années en Champagne et en France, et, là, je patiente encore. Mon glaive est toujours vierge. J’en viens à me demander combien d’autres années il me faudra attendre avant de servir Dieu.
— Sais-tu ce que disent les infidèles à ce sujet ? avait demandé Wash el-Rafid.
— Non, seigneur, avait répondu Simon.
— « Endurez, car Dieu est avec les patients. »
Il était clair que cet homme avait beaucoup souffert. Combien d’années avait-il attendu, lui ? Simon était tombé à ses genoux et avait pris sa main pour la baiser.
— Seigneur, lui avait-il dit, tête baissée, je vous demande humblement pardon. Je parle en étourdi, mais c’est que je souffre de ne pouvoir mettre mieux mon courage et ma force au service du Christ.
— Es-tu prêt à mourir pour Lui ? s’était enquis l’émissaire du pape en posant sa main sur la tête de Simon.
Bien sûr qu’il était prêt à donner sa vie pour le Christ. D’ailleurs, ne l’avait-il déjà fait ? Ne leur avait-on pas dit qu’un bon chevalier du Temple devait se considérer comme mort avant d’aller au combat ? Et puis cette mort, quel honneur ! Car, comme le disait saint Bernard : « Comment redouterait-il de mourir ou de vivre, celui pour qui la vie est le Christ, et la mort la récompense ? »
— Ma vie Lui appartient déjà, avait répondu Simon.
— Veux-tu renaître dans le Christ ? avait demandé sévèrement Wash el-Rafid.
— Je n’aspire à rien d’autre, avait confessé Simon – presque à bout de souffle.
— Jure-le ! avait dit Wash el-Rafid avec force.
Levant la main droite et tendant la main gauche, Simon avait juré, comme le font tous les Templiers, le regard fier et sévère, « qu’à l’approche du combat il s’armerait de foi au-dedans et de fer au-dehors ; que ses armes seraient son unique parure ; qu’il s’en servirait avec courage dans les plus grands périls, sans craindre le nombre, ni la force des Barbares ; que toute sa confiance était dans le Dieu des armées ; et qu’en combattant pour Sa cause, il chercherait une victoire certaine ou une mort sainte et honorable ». Enfin, il avait juré de rapporter à la maison chêvetaine du Temple, à Jérusalem, le Saint Bois sur lequel avait tant souffert le Christ. Avec des imprécations terribles, il s’était donné pour la seconde fois à Dieu, et chaque fois que Wash el-Rafid prononçait un mot, il le répétait en frissonnant :
« Ô l’heureux genre de vie dans lequel on peut attendre la mort sans crainte, la désirer avec joie, et la recevoir avec assurance ! » avait dit Wash el-Rafid sur un ton impérieux.
« Ô l’heureux genre de vie dans lequel on peut attendre la mort sans crainte, la désirer avec joie, et la recevoir avec assurance ! » avait répété Simon.
« Maintenant : “Lève-toi et agis, et que l’Éternel soit avec toi” », avait conclu Wash el-Rafid, citant un verset des Chroniques, en arrachant d’un geste brutal la croix rouge cousue sur le manteau de Simon.
Puis il avait posé la main sur l’épaule du jeune homme pour l’inciter à se relever. Simon s’était redressé, quelque peu chancelant, et avait regardé son bienfaiteur. Il avait alors été frappé par sa peau brune. L’homme avait la physionomie des gens de la région. Mais sa face était burinée. Comme rongée par la maladie. En outre, une étrange déformation du visage donnait à sa bouche une allure animale.
— Seigneur…, avait commencé Simon.
Mais il n’avait pu finir sa phrase. L’émotion l’étouffait sans qu’il sût trop pourquoi. Il lui semblait que sa vie avait pris un tournant.
C’est ainsi qu’il avait rejoint les rangs des fameux « Templiers blancs ». Ils s’appelaient entre eux « Templiers de la première loi », parce qu’ils se comportaient comme les Templiers des origines, humbles, et sans écuyers ; faisant tout par eux-mêmes, ne comptant que sur leurs propres forces. C’était avant que l’ordre ne reçoive la croix vermeille. Avant même que Sa Sainteté Innocent II ne rédige la bulle Omne Datum Optimum – source de tellement de bénéfices que la jalousie de nombreux ordres monastiques s’en était trouvée excitée, comme les braises d’un feu qu’on attise.
Wash el-Rafid leur avait dit : « La Vraie Croix est perdue. Tant
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