Les chevaliers du royaume
alors que Jérusalem avait tant besoin de renforts. D’ailleurs, tout lui semblait long, lent, et très mystérieux. Un jour, finalement, un chevaucheur arriva. Il était à la tête d’une compagnie d’arbalétriers. Un homme portant fièrement la bannière de saint Pierre les accompagnait.
Enfin ! Ce messager, cet étendard, ce devait être l’espoir d’un mouvement, la promesse d’une action contre les Sarrasins. La possibilité de devenir un autre. Quelqu’un de puissant, de fort, de beau et de noble. Un nouvel Érec, un second Lancelot, un Gauvain moderne, le double d’Yvain, le jumeau de Cligès. Bref, un de ces personnages de légende chantés par Chrétien de Troyes, dont l’apparition arracherait aux femmes des soupirs d’autant plus langoureux qu’elles le sauraient inaccessible. Sans parler de ses congénères qui pousseraient des « Vivat ! » qu’il feindrait de ne pas entendre.
Ah, Dieu ! Il n’en pouvait plus d’attendre !
Depuis quand patientait-il ainsi ?
Depuis qu’il était né, non loin de la Noël de l’an de grâce mil cent soixante-neuf – ce qui le plaçait dans sa dix-huitième année. Il se sentait de la force à revendre, une rage et un cœur sans rival, un amour pour Dieu qui n’avait d’égal que l’amour qu’il avait éprouvé dans sa prime jeunesse pour la belle et pure Berthe de Cantobre, quand il était son fidele d’amore. « Oh, Berthe, que tes douces mains me semblent loin, et que tes lèvres vermeilles sont pâles quand ma mémoire les évoque à présent ! La blancheur pour moi ce n’est plus ta poitrine, mais mon blanc manteau, les sommets de l’Hermon, du djebel Ansariya ou du mont Liban. Le vermeil ce n’est plus tes lèvres, mais la croix de velours cousue à mon revers le jour où je fus reçu dans l’ordre. Elle seule a droit à mes baisers. Va, Berthe ! Je te garde dans ma mémoire, aussi chaste, aussi pure, aussi digne que je veux l’être encore pour toi, même si je t’ai quittée. Car je t’ai quittée pour Dieu. »
Ainsi parlait Simon.
Plissant les yeux, il regarda de part et d’autre du donjon de La Fève. Au septentrion, il y avait le mont Thabor. Il distinguait les ruines du monastère perché sur son sommet comme une plaie. Au couchant, les sommets enneigés des monts Carmel. Au midi, Le Grand Gérin et Le Bessan, villages où le Temple entretenait encore quelques troupes. Au levant, Château Belvoir – entre les mains des Hospitaliers, mais plus pour très longtemps : les Sarrasins se faisaient de plus en plus pressants. Simon frissonna. Était-ce le froid ? Il se passa les mains sur les bras, et les frotta pour se réchauffer.
Attendre le paralysait. Petit à petit, ses membres s’engourdissaient. Simon dansa d’un pied sur l’autre pour aider son sang à circuler, et souffla sur ses doigts. Il ne faisait pourtant pas froid : son haleine n’était pas visible. Mais ce geste lui en avait rappelé un autre, qu’il avait fait voici deux semaines dans la tour de guet du Chastel Blanc. Comme on le savait impatient, pour le corriger, on lui confiait toujours le premier tour de garde, qui était le plus long. Alors que la relève arrivait, il s’était senti – de même qu’aujourd’hui – gagné par le froid et avait soufflé dans ses mains pour les réchauffer. Il était tard dans la nuit, et son haleine se faisait brume en sortant de sa bouche, avant de s’évaporer dans le noir. Cette nuit-là, il avait gelé. C’était le jour où l’émissaire du pape était venu les voir.
Il n’oublierait jamais.
L’homme dont il avait pris le pas pour celui de la relève était en fait l’émissaire, Wash el-Rafid. N’arrivant pas à dormir, il avait demandé à ses hôtes la permission de visiter le château, et notamment d’aller faire un tour au sommet du donjon. Où se trouvait Simon.
En le voyant le visage plongé dans un ennui si profond qu’on aurait dit un masque, Wash el-Rafid lui avait demandé :
— Tu t’ennuies, doux frère ?
Simon n’avait su que répondre. Il craignait d’avoir commis une faute et demeurait silencieux. Mais, encouragé par l’émissaire du pape à s’exprimer sans crainte, il avait fini par avouer :
— Plus que de raison, seigneur.
— Pourquoi ?
— Je n’en puis plus d’attendre.
— Attendre ? s’était étonné l’émissaire. Mais qu’attends-tu ?
— Que quelque chose arrive. Depuis que je suis en Terre sainte, on me promène d’un
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