Les chevaliers du royaume
pas. Je veux passer la nuit ici à prier, auprès de la Vraie Croix.
— Tu n’as plus la vraie foi ?
— Si, dit Morgennes. Mais ce n’est plus la tienne.
— Mon oncle ne t’a pas délié de ton serment. Renierais-tu ta parole ?
Morgennes ne répondit rien. Son regard se perdit dans la plaine de Hattin, passa de monticule en monticule, puis se porta sur la grande croix du monument de Saladin.
— Vous avez bien érigé cette croix-ci, reprit-il.
— Peut-être, convint Taqi. Mais nous ne l’adorons pas. C’était pour tuer l’un des tiens, et lui infliger un juste châtiment choisi par lui-même. Pour autant que je sache, les chrétiens n’ont pas le monopole de la croix.
— Quand verrai-je Saladin ?
— Peut-être ce soir, peut-être demain. Il vient de quitter Tyr, qu’il renonce à assiéger, pour une autre ville.
— Puis-je savoir laquelle ?
— Jérusalem.
Morgennes retomba dans le silence. Simon serra les poings, les yeux pleins de larmes de rage et d’inquiétude. D’impuissance surtout.
C’est le moment que choisit Taqi pour dire à Morgennes :
— Cette croix est bien la « Vraie Croix », telle que vous l’adorez. Mais ce n’est pas, de mon point de vue, la Vraie Croix.
— Que veux-tu dire ? demanda Morgennes. Comment cette croix peut-elle à la fois être et ne pas être la Vraie Croix ?
— Je veux dire que le Coran est très clair à ce sujet : « Dieu éleva Jésus vers Lui et fit tomber la ressemblance sur celui qui venait le chercher. Lequel eut beau dire qu’il n’était pas Jésus, il fut crucifié à sa place. » Cette croix est peut-être celle que vous promenez sur les champs de bataille depuis je ne sais combien d’années, celle que votre sainte Hélène a inventée, mais ce n’est pas la croix sur laquelle Jésus a été crucifié ; puisqu’il n’a pas été crucifié. Cette croix, que vous adorez, c’est celle de Judas.
Simon l’écoutait bouche bée, Cassiopée, avec un intérêt mêlé de détachement, un fin sourire aux lèvres – comme si elle avait entendu cette histoire, ces faits, cette polémique plus de mille fois – se préoccupait à présent plus de Morgennes que de la Vraie Croix, même si les reliques, de toutes sortes, étaient sa passion.
— Ce n’est pas vrai ! Tu mens ! s’emporta Simon. Cette croix est la Vraie Croix, celle du Christ ! Celle pour laquelle mon frère est mort ! Et je m’en vais le prouver !
Il se planta son couteau dans le ventre, passant par un défaut de sa cotte de mailles, si rapidement qu’aucun de ses compagnons n’eut le temps de l’en empêcher.
— Imbécile ! s’écria Morgennes. Pourquoi as-tu fait cela ?
— Allongez-moi sur elle, bredouilla Simon. Si cette croix est la Vraie Croix, Dieu ne permettra pas que je meure. Autrement, je ne souhaite pas vivre.
Morgennes étendit le jeune homme sur la croix tronquée, pendant que Cassiopée et Taqi s’affairaient à panser sa plaie.
— Tu es vraiment idiot, déclara Taqi. Une vache est plus intelligente que toi. Après tout, quelle différence, si ton père et les tiens croient que c’est la Vraie Croix ? D’ailleurs, admettons, si cela peut te faire plaisir : c’est la Vraie Croix. Je te demande pardon, j’ai trop parlé. Encore une fois, j’aurais mieux fait de retenir mon haleine. Celui qui parle trop ne vaut pas mieux que l’imbécile.
Simon le regarda, puis s’évanouit.
— Quelle mouche l’a piqué ? demanda Taqi à Morgennes.
— Je suppose que c’est à cause des pouvoirs qu’on attribue à la Vraie Croix, répondit Cassiopée. On dit que sainte Hélène, quand elle la trouva au sommet du Golgotha, y coucha un lépreux. La guérison de ce dernier fut la preuve qu’elle recherchait.
— Tu connais bien l’histoire de la Vraie Croix, dit Morgennes.
— Je connais bien toutes sortes d’histoires, répondit Cassiopée.
— Et toi, qu’en penses-tu ? demanda Taqi, dubitatif, à Morgennes.
— C’est elle, oui. Je la reconnais… Quant au lépreux, je n’y crois pas.
— Pourquoi ?
— Parce que sinon Baudouin IV n’aurait pas eu besoin de mes services, ni moi de partir en quête d’un moyen de soigner sa lèpre, et la mienne…
Au cours de la nuit, tandis qu’ils veillaient sur Simon en attendant Saladin, Morgennes leur raconta le peu de sa vie dont il se souvenait.
Morgennes avait été pendant longtemps l’agent en charge des opérations secrètes du père
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