Les chevaliers du royaume
que tout pourrait être préservé, et son innocence, et sa mission, sa foi en Dieu, sa place au paradis. Oh, sa place au paradis. Il l’aurait échangée sur-le-champ contre la Vraie Croix s’il avait pu ! N’était-ce pas ce qu’il avait fait ? Alors, tant pis s’il agissait, raisonnait par orgueil, tant pis… pourvu qu’il retrouvât la Vraie Croix.
Il resterait mahométan aussi longtemps que Saladin ne l’aurait pas délié de son serment. Il continuerait à chercher la Vraie Croix, ainsi qu’il l’avait promis à Alexis de Beaujeu, ainsi, surtout, qu’il se l’était promis à lui-même, quand il avait vu passer la monture de Rufinus, sur le champ de bataille, à Hattin.
Décidément, il revenait toujours à ce funeste combat, où la mort l’avait fui à plusieurs reprises, où il avait été – à sa très grande honte – le dernier des soldats à se rendre, et où il avait renié sa foi. Que d’épreuves traversées depuis, que de chemin parcouru ! Morgennes avait l’impression de vivre un cauchemar.
— Que faisons-nous maintenant ? demanda Simon, qui s’impatientait déjà.
— Que veux-tu faire ? dit Morgennes.
Simon esquissa un geste en direction des deux silhouettes qui chevauchaient au loin. Certes, l’une était Cassiopée – mais depuis qu’ils avaient quitté La Fève, elle n’avait pas eu un mot pour lui, pas un regard, et paraissait uniquement préoccupée de son faucon :
— Ils sont loin, on peut partir, lâcha-t-il la mort dans l’âme en sachant que cela voulait dire abandonner Cassiopée.
— Et laisser la Vraie Croix ! s’indigna Morgennes.
— La Vraie Croix ! Je suis le premier à vouloir la retrouver, mais nous reviendrons plus tard, avec une armée.
— Laquelle ? Celle de Conrad de Montferrat, qui ne veut pas bouger de Tyr ? Celle des Hospitaliers, en pleine recomposition ? Ou celle du Temple, décimée… Je te rappelle qu’à Hattin ce sont le ban et l’arrière-ban des forces du royaume qui ont été massacrés.
— Il reste les Templiers blancs ! s’exclama Simon.
— Les Templiers blancs…, soupira Morgennes. Peux-tu me dire ce que tu espérais trouver chez eux ? Être un blanc-manteau ne te suffisait pas ? Il te fallait plus ? Et si l’on t’avait dit que les Templiers blancs étaient une société secrète bâtie sur le modèle de celle des Batinis ?
— Qu’en savez-vous ? lança Simon. Même moi je n’en sais rien !
— Ah non ? Et cet homme, avec son arbalète…
— L’envoyé du Très Saint Père ! s’emporta Simon. Comment osez-vous…
— Comment j’ose ? Tout simplement, en posant des questions, en me montrant curieux. Et ne crois pas que ce soit un péché. Ce n’en est un que pour ceux que ces questions dérangent. Au fond, je suppose que tu ne sais pas grand-chose des Templiers blancs. Du reste, tu ne dois pas en savoir très long sur le Temple non plus.
— J’en connais la règle !
— Bien sûr. Je suis certain que tu la sais par cœur. Mais connais-tu son histoire ? Ses principes, ses mœurs, ses torts, ses travers, ses zones d’ombre et de lumière ? Sais-tu ce que sont un Templier, un Hospitalier, ou même un Batini ?
— Les deux premiers sont des soldats du Christ. L’autre est un ismaïlien, c’est-à-dire un Mahométan qui ne se reconnaît pas dans le pouvoir en place à Bagdad.
— Et alors ? Des mots ! Des mots tout ça ! Des mots, toujours des mots, des mots, des mots et des prières, des mots, des chants, des répons, des oraisons, des que saisie encore ! Des paroles et du vent ! Ce n’est pas difficile de parler. En ce qui me concerne, être un soldat du Christ, c’est obéir au Christ, répondre à son message, qui est avant tout d’amour, et le servir, Lui, plutôt que le Temple, l’Hôpital ou le pape !
— Vous blasphémez, protesta Simon. Je vous rappelle que le pape est le Vicaire du Christ, que nous sommes à ses ordres, et que saint Bernard nous a donné une règle, pas très éloignée de la vôtre, qui nous préserve du péché d’homicide et nous garde dans le droit chemin.
— Que tu viens de quitter en venant avec nous, fit remarquer Morgennes sur un ton las.
— Pas plus que vous en abjurant, rétorqua Simon.
Morgennes ne répondit pas. Depuis deux mois, il avait tout abandonné, son âme, sa foi, son honneur et les siens, pour une seule raison : retrouver la Vraie Croix. Il était las de se battre, las de devoir
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