Les chevaliers du royaume
avait sur les murs de cette tombe des fresques laissant penser qu’elle pouvait être celle de saint Georges. On y voyait un soldat en armure combattre un puissant dragon.
— Ce serait donc l’épée d’un saint ?
— Oui, bien que l’idée d’un saint maniant l’épée m’ait toujours rebuté.
Simon s’abandonna alors à des réflexions qu’il préféra ne pas formuler. Pour lui, la sainteté ne pouvait se conquérir que les armes à la main, en s’exposant aux dangers les plus grands, et en vainquant les ennemis de la foi ou en périssant. Apparemment, il n’en allait pas de même pour Morgennes.
— Pourquoi, demanda Simon, avoir intégré l’Hôpital, si l’idée d’un guerrier saint vous est à ce point insupportable ?
— Ce n’est pas la sainteté qui me gêne, ni le fait de combattre, répondit Morgennes. C’est le fait de les associer. Vois-tu, je suis bien un guerrier, mais je n’ai rien d’un saint. Et c’est parfait comme ça. À l’origine, l’Église refusait d’honorer ceux qui mouraient les armes à la main, pour quelque raison que ce fût. Puis en 314, un an après l’édit de Milan autorisant le christianisme dans l’Empire romain, le concile d’Arles condamna à l’excommunication ceux qui rechignaient à porter les armes pour défendre ce même Empire – et donc la chrétienté. Ensuite, il y eut saint Augustin, la chute de Rome et les assauts des Sarrasins en Espagne, en Sicile, en Provence… et ce phénomène n’a cessé de s’amplifier. Jusqu’où cela ira-t-il ? Je suis entré dans l’Hôpital parce que c’est un ordre difficile, ayant pour vocation de soigner les malades, alors que le Temple est un ordre strictement militaire. Je n’ai d’ailleurs été pendant très longtemps pour les Hospitaliers qu’un mercenaire, un auxiliaire – une sorte de partie honteuse et qu’il faut cacher. Pour l’Hôpital, intégrer un soldat était plus un mal nécessaire qu’une bénédiction, du moins au début. Ma véritable réception dans l’ordre, en tant que chevalier, est beaucoup plus récente. Elle a moins d’une dizaine d’années.
— Depuis combien de temps êtes-vous ici ?
— Cela fera bientôt un quart de siècle. J’avais à peu près ton âge en arrivant. J’étais alors…
Il s’interrompit. Sa mémoire lui faisait défaut. Il allait dire : « J’étais alors un tout jeune chevalier », mais il se rendait compte que, chevalier, il ne l’était peut-être pas encore. En fait, il devait se l’avouer, s’il avait pensé cela, c’est parce que Simon avait lui-même été adoubé chevalier. En d’autres temps, en d’autres circonstances, Simon aurait dû attendre encore un an ou deux avant de pouvoir l’être. Mais la défaite de Hattin et un besoin pressant de sang neuf avaient précipité les choses.
Quant à Simon, il se faisait la réflexion en regardant Morgennes que celui-ci était en quelque sorte un moine ayant remplacé le silence de la méditation par le fracas des armes. Et qui avait accepté d’en payer le prix. Pour Morgennes, il n’y avait pas de paradis.
C’était exactement l’inverse de ce qu’on enseignait aux autres Hospitaliers, aux Templiers, aux Assassins, aux soldats du jihad, enfin, à tous ceux qui se battaient et avaient hâte de mourir, justement parce qu’ils étaient certains d’aller tout droit au paradis. Sinon, auraient-ils défendu leurs idées avec la même foi ?
Simon en doutait. Au fond, ceux-là n’étaient pas prêts à donner, ils ne voulaient que recevoir. Mouraient-ils en martyrs parce qu’ils mouraient persuadés d’agir pour la bonne cause et de gagner ainsi le paradis ? Bien sûr que non. Ces gens étaient incapables du moindre sacrifice ; tout ce qu’ils faisaient, c’était se venger, d’eux-mêmes et des autres, en étalant à la vue de tous leur peur, leur petitesse et leur lâcheté. Mais pas leur amour, et certainement pas leur amour de Dieu. Pour Dieu, ils n’avaient que mépris.
Simon sentit quelque chose se briser en lui.
Puis un mouvement dans le ciel attira son attention. Il leva la tête et suivit du regard le noble oiseau de Cassiopée. « C’est drôle, pensa-t-il. Nous, nous laissons des traces sur le sable ; elle c’est dans le ciel. »
Il observa attentivement Cassiopée, ses vêtements clairs, qui flottaient sur sa peau, cette manière d’être là tout en étant ailleurs, cet air indifférent, et pourtant concerné. « Drôle de
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