Les chevaliers du royaume
maudits…
— Pour avoir assemblé la Vraie Croix ?
— Oui. Et n’avoir utilisé cet arbre que pour une seule croix, sans qu’on sache trop pourquoi. Il aurait poussé à partir d’une des branches de l’arbre de la Connaissance. Le roi Salomon en aurait fait un pont, et la reine de Saba, frappée d’une vision de la Passion du Christ, serait venue l’adorer, plusieurs siècles avant sa naissance… À l’origine, la croix était destinée à Barabbas. Certains disent que son écorce avait été traitée de façon spéciale, et que son bois aurait reçu la propriété de ramener à la vie ceux qui étaient couchés dessus… Peut-être les cagots étaient-ils de puissants magiciens, des partisans de Barabbas en lutte contre les Romains ? Ce stratagème aurait eu alors comme motif de sauver Barabbas de la crucifixion, mais Barabbas n’a pas été crucifié. Jésus le fut à sa place, et donc bénéficia des propriétés magiques de l’arbre… Si c’est bien lui qui a été crucifié. Car, aujourd’hui encore, beaucoup croient que le Christ ne l’a pas été non plus, mais que ce fut Judas, ou Simon de Cyrène, une apparence du Christ, ou Barabbas lui-même… Les elkésaïtes, par exemple, affirment que c’est un Christ terrestre qui fut mis en croix, mais que le véritable Christ, le Christ céleste, fut rappelé au Ciel par son Père. Les mérinthiens, au I er siècle de notre ère, pensaient à peu près pareil. L’Histoire fourmille de mille autres interprétations.
— Et vous, que croyez-vous ?
— Je crois que tout cela n’a que peu d’importance. Que ce soit Simon de Cyrène, Barabbas, Judas, une apparence du Messie ou autre chose encore, permettrait d’expliquer de façon rationnelle la Résurrection. Mais, fondamentalement, cela ne change rien au message du Christ – quand bien même il n’aurait jamais existé. Cela ne lui ôte en rien de sa valeur. Pour ma part, j’ai trouvé ici des écrits parlant de faits tout aussi extraordinaires – je vous les montrerai tout à l’heure, quand nous irons à la mine. Enfin, la Vraie Croix, celle que vous cherchiez, est dans la pièce d’à côté ; l’arbre dont elle est issue est ici…
— Cet arbre aurait aujourd’hui plus de mille ans ? Comment peut-on croire une chose pareille ?
— Cet arbre est comme le Phénix, ou Prométhée. Il renaît de sa souche… Mais ce n’est pas le seul. Il y a, par exemple, à Athènes, un olivier dont l’origine remonte aux fondations de la ville, et qui paraît toujours jeune. Dans un autre domaine, certaines femmes, ici, ont plus d’une centaine d’années et en paraissent toujours seize. Zénobie a plus de deux cents ans, l’Emmurée a connu Mahomet. Le monde regorge de merveilles.
— Mais…, fit Morgennes, comment expliquer les miracles de la Vraie Croix, celle que nous avons toujours connue ? On a raconté tant de choses à son sujet…
— J’en fus moi-même témoin, confirma Guillaume. C’est vrai. Peut-être qu’à ce moment-là, parce que tous y croyaient, et priaient le Christ de toute leur âme, la Vraie Croix était effectivement au milieu d’eux… En fait, peu importe la relique, pourvu qu’on ait la foi.
Morgennes ne savait que penser.
Combien de « Vraies Croix » y avait-il ?
— Vous savez, poursuivit Guillaume, on ne compte plus le nombre de reliques appelées « Vraie Croix ». Dès le début, sainte Hélène en ôta quatre fragments pour les rapporter à Rome, en jetant un à la mer pour calmer la tempête où se trouvait pris son navire. Ensuite, il semble que les Vraies Croix se soient multipliées au fur et à mesure des besoins que les peuples en avaient. On dit que Charlemagne en détenait une, avec laquelle on l’enterra. L’empereur Othon III fit ouvrir le tombeau de Charlemagne pour la lui prendre. Récemment, les Templiers reçurent un fragment de Vraie Croix, en gage d’un prêt. Henri le Libéral en donna un morceau à la chapelle Saint-Laurent de Provins. Alors, que croire ? Si l’on assemblait tous les fragments de Vraie Croix qui se trouvent dans toutes les Sancta Crux du monde, il y aurait de quoi crucifier mille Christ. Mais ce sont ces derniers qui comptent. Et d’ailleurs, où les trouverait-on ?
Cette remarque laissa Morgennes songeur.
— Mais alors, je suis depuis le début à la recherche d’un objet qui n’existe pas ?
— Il existe, affirma Guillaume, parce que vous y avez cru. C’est tout ce qui
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