Les chevaliers du royaume
n’avait rien à envier à celui de ses Assassins. Il aurait dû exiger dix fois plus ! Cassiopée n’avait pas de prix.
Cela étant, Sinan avait eu besoin de Rawdân ibn Sultân pour s’emparer de la nièce de Saladin ; les Maraykhât étant habitués à parcourir rapidement de grandes distances dans le désert. Ils l’avaient piégée alors qu’elle se rendait à Bagdad, avaient massacré son escorte, s’étaient emparés d’elle, puis l’avaient livrée au Vieux de la Montagne.
Mais les Maraykhât n’avaient pas ramené qu’elle : ils avaient également rapporté la tête de l’ancien évêque d’Acre, Rufinus. Sinan les avait remis tous les deux aux Templiers blancs, en signe d’obédience. « De cette façon, avait-il pensé, cela endormira leur vigilance et me conciliera leurs bonnes grâces, pour aussi longtemps que j’aurai besoin d’eux. »
Mais, avant, Sinan s’était amusé avec Cassiopée et avait tenté de modeler son esprit, afin d’en faire, à son insu, un instrument de sa politique. Combien de temps avait-il eu avant que les Templiers ne viennent la lui reprendre ? Deux ou trois semaines. Pas plus d’un mois.
C’était court, mais presque assez pour en faire une fidèle, qu’il avait convertie à son culte (du moins le pensait-il). Elle – et l’évêque d’Acre, ce Rufinus, qui intriguait beaucoup Sinan.
Sitôt après avoir quitté Masyaf, Rawdân ibn Sultân rejoignit ses hommes, stationnés dans la plaine. Il les chargea d’une première mission : trouver le fourrage nécessaire aux éléphants, afin qu’ils passent l’automne en sécurité.
Ensuite, on verrait. (Au pire, on mangerait leur viande, et leurs défenses feraient de jolis objets.)
Rawdân frotta l’une contre l’autre ses mains rougies par la gale. Il se délectait à l’avance des nombreux supplices qu’il allait pouvoir faire subir à ses ennemis, les Zakrad, les Muhalliq et les autres tribus, qui toutes se gaussaient de son manque de noblesse et de ses façons paysannes. Il allait leur montrer ce dont les véritables fils du désert, les serpents, les scorpions, étaient capables. Il ne supportait plus le caractère hautain et les regards dédaigneux que lui jetaient les Zakrad et les Muhalliq, alors qu’aucun de leurs soldats ne se battait aussi bien que les siens. Peu après Hattin, furieux de la façon dont les mamelouks avaient traité ses nobles guerriers à la suite de l’incursion d’un intrus dans son camp, Rawdân ibn Sultân avait quitté l’armée du sultan. Il avait renoncé au jihad puisque cela impliquait de livrer bataille au côté d’un tel porc. Il s’était ensuite rendu dans le djebel Ansariya, à Masyaf, et avait promis à Rachideddin Sinan de l’aider à rétablir la Vraie Foi – celle des Batinis – en Égypte, en Syrie, en Perse… Enfin, partout où cela lui siérait. Sinan lui avait alors enjoint de s’allier à certains Templiers, appelés « Templiers blancs », qui voulaient eux aussi restaurer la Vraie Foi – leur Vraie Foi. Ces hommes étaient, à leur façon, comme les Assassins, des purs : ils voulaient amener le royaume de Jérusalem à se constituer en État religieux, et même en État de la papauté.
Si leurs objectifs divergeaient, à moyen comme à long terme, en revanche, ils avaient un puissant ennemi commun : Saladin. Tant que celui-ci vivrait, lui qui avait défait le pouvoir chiite des Fatimides, en Égypte, pour y installer le sien, et s’était déjà attaqué deux fois à Masyaf, en vain (Dieu en soit remercié), leur combat serait sans répit.
Leur détermination, absolue.
Quelque temps après avoir répondu à l’invitation de Sinan, Rawdân avait promu l’un de ses hommes, un manchot nommé Yaqoub, au rang de muqaddam. Parce qu’il avait glorieusement combattu à Damas au côté des Templiers blancs, contre ce démon chrétien qui leur avait causé tant de tort, à Hattin. Parce qu’il était bien vu des Assassins, que son bras droit mutilé impressionnait. Et parce qu’il avait montré au combat une rage et un acharnement que Rawdân voulait donner en exemple à tous les Maraykhât, surtout aux plus jeunes – qui étaient comme de petits scorpions auxquels il fallait apprendre dès l’enfance à se servir de leur dard.
Enfin, un soir, alors qu’il se détendait comme d’habitude en compagnie de jeunes danseuses à peine nubiles, Rawdân ibn Sultân reçut dans sa tente la visite d’un homme entièrement vêtu
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