Les chevaliers du royaume
j’ai fait est un bien ou un mal. Enfin, la véritable Vraie Croix – que nul ne savait perdue – a été retrouvée, et la croix de Hattin également. On pourrait croire que tout est pour le mieux, non ?
Tommaso ne le quittait pas des yeux. Pour le Vénitien, converti à l’amour en même temps qu’à la religion, Morgennes était une vivante icône. Un objet d’adoration.
— Il faudrait écrire votre histoire, dit-il.
— Un de mes amis s’en occupe, dit Morgennes. Enfin, je crois…
— Bravo ! Je lirai son livre avec intérêt. J’en commanderai des copies.
Beaujeu interrompit leur échange :
— Nul à part nous ne doit savoir que la Vraie Croix, l’authentique, doit partir pour Rome dans les cales de La Stella di Dio. Je vous invite à réfléchir à un moyen de la faire parvenir à son bord. Un moyen discret. Nous avons jusqu’à ce soir. Je n’ai pas envie de garder trop longtemps cette croix ici : je n’aime pas la savoir dans une place forte militaire ; et puis, je n’aimerais pas être celui à qui elle serait volée, si vol il devait y avoir…
Morgennes et Tommaso opinèrent du chef. Ils comprenaient parfaitement ce que Beaujeu voulait dire. Si l’honneur était grand de la retrouver, le déshonneur de la perdre à nouveau serait infini.
Les trois hommes descendaient les marches menant vers la cour de la chapelle, quand soudain les cloches se mirent à sonner l’alerte. Morgennes et Beaujeu partirent aux nouvelles au pas de course.
*
— Ce qui commence à Jérusalem finit à Jérusalem, répondit Saladin au plus jeune de ses fils, al-Afdal, qui lui demandait quand sa guerre de reconquête cesserait.
— Alors, demanda al-Afdal, c’est pour bientôt ?
Saladin posa la main sur la tête de son fils et lui caressa les cheveux. Ils avaient la douceur de la soie, et rappelaient au sultan le poil de ses panthères, sagement couchées dans un coin de la tente, la tête posée sur les pattes de devant.
— Bientôt, oui. Si Dieu le veut ! ajouta Saladin.
— Mais alors, père, pourquoi ne partent-ils pas ? Préfèrent-ils mourir ? Sont-ils comme ces chevaliers impies, que nous avons capturés à Hattin, et qui ont préféré périr plutôt que d’embrasser la Loi ?
— Qui sait ? Peut-être préféreront-ils se rendre. En tout cas, on peut toujours les y inciter. Ce n’est qu’une question de temps…
En vérité, il bouillonnait d’impatience et aurait donné sa vie, et celle de ses quatre fils, pour reprendre la ville le soir même. Mais il s’efforçait de réfréner ses sentiments, tenant au loin les voix qui le pressaient d’agir. La guerre était pour lui un long travail de patience. Tout comme dans le feu de l’action il agissait sans prendre le temps de réfléchir, il ne voulait pas faire l’économie d’une minute de précieuse réflexion avant de donner l’ordre d’attaquer. Pourtant, il avait hâte d’en finir. Comme le disait le Prophète : « La temporisation est excellente, sauf quand l’occasion se présente. »
Mais où porter le premier assaut ? À quel moment ? Avec quelles troupes ? Quels préparatifs ? Quels objectifs ? Pendant combien de temps ?
Autant de questions auxquelles le sultan devait trouver une réponse, en compagnie de son état-major, de son aide de camp, Ibn Wâsil, et du cadi Ibn Abi Asroun. Ensemble, ils étudieraient toutes les données. Quantité, type, qualité et moral des forces civiles et militaires de la ville, quantité et type de nourriture disponible, factions que l’on pouvait inciter à se rendre ou pousser à la sédition, otages, chantages et manipulations possibles, emplacement des entrepôts de vivres et de munitions, points faibles des fortifications, travaux de sapes envisageables, prévisions météorologiques et astrologiques…, tout était passé en revue dans le moindre détail. Saladin répétait à qui voulait l’entendre ce vieux proverbe : « Souvent, un stratagème est plus efficace que le courage. » C’est ainsi que, quelques jours avant de quitter Tyr, il avait libéré Guy de Lusignan, à Naplouse – le sortant de prison mais lui interdisant de regagner son trône. En revanche, il avait autorisé la reine Sibylle, sa femme, à le rejoindre avec armes et bagages. Jérusalem se retrouvait donc sans reine ni roi, n’ayant pour la défendre que Balian d’Ibelin, et son patriarche, Héraclius. Avec un peu de chance, ces deux-là ne tarderaient pas à se détester.
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