Les chevaliers du royaume
sauver.
Mais Balian était tenu par la promesse qu’il avait faite à Saladin de ne rester qu’une seule nuit dans la ville. Il devait quitter Jérusalem le lendemain de son arrivée, avec sa femme et ses enfants – qu’Héraclius avait cachés dans les souterrains de la tour de David, en ordonnant aux Templiers blancs d’en interdire l’accès à Balian.
« Je te délie de ton serment, avait dit Héraclius.
— J’ai promis », avait répondu Balian.
Apparemment, les deux hommes n’étaient pas faits pour s’entendre. Héraclius faisait fi de la parole donnée ; Balian restait fidèle à ses engagements. Déjà, des rumeurs circulaient : on le traitait de lâche. On disait de lui : « Il est vendu aux infidèles. »
Ces ragots firent si bien que Balian envoya Ernoul expliquer la situation à Saladin et le supplier de bien vouloir lui permettre de rester dans la ville, pour la défendre. Ému par les mots qu’Ernoul avait su trouver, Saladin écrivit à Balian : « Restez tant que vous pourrez si tel est votre souhait. » Il donna même à Ernoul une escorte de mamelouks, pour qu’ils accompagnent ensuite la femme de Balian, ses filles et son neveu, à Tyr. Où ils seraient en sécurité.
— Je reconnais bien là le sens de l’honneur de Saladin, commenta Morgennes.
— Vous le connaissez donc ? s’enquit Ernoul.
— Je connais sa clémence.
— Et sa cruauté, ajouta Beaujeu.
Les quatre hommes se laissaient bercer par le vent sur les hauts remparts du krak. L’air était chargé de bruits divers, cris et claquements d’armes des soldats à l’exercice, brouhaha des maçons en train de renforcer les fortifications ou des charpentiers assemblant des engins de guerre.
— Nous allons former trois groupes, dit Beaujeu. Afin de libérer Morgennes de ses obligations vis-à-vis des Moniales, une patrouille d’Hospitaliers escortera Yemba jusqu’aux rives de la mer Morte, où il pourra mettre à l’abri ses précieuses jarres. Le capitaine Chefalitione rejoindra La Stella di Dio à Tortose ; quant à toi, Morgennes, tu accompagneras Ernoul jusqu’à Jérusalem, avec tes compagnons. Ta mission se terminera juste après. Jérusalem sauvée, vous reviendrez ici avec la Vraie Croix.
Peu après, Ernoul les quittait pour aller présenter ses hommages à Raymond de Tripoli, dont l’état ne cessait de s’aggraver.
Morgennes et Beaujeu restèrent seuls avec Chefalitione, qui leur rapporta ce qu’il avait vu en Europe, où la noblesse s’était empressée d’oublier le sort de ses cousins établis en Terre sainte. Comme si reprendre le Saint-Sépulcre était plus important que le garder ; l’exploit, plus important que la durée.
Mais Tommaso disait cela sans animosité. Avec une pointe de tristesse, et sans jamais cesser de sourire. En fait, les mœurs de ses contemporains l’amusaient autant qu’elles l’agaçaient.
Depuis son voyage en Occident, le capitaine vénitien avait l’air heureux des gens que la vie a comblés. Ses traits avaient gagné en douceur, comme polis par la main d’un ange – ce qui était le cas puisque, depuis qu’ils s’étaient rencontrés, en juillet, Fenicia et lui ne se quittaient plus.
— Partie pour la Provence alors que j’étais pour elle un étranger, elle est revenue ici avec moi – malgré les risques que cela représente. On ne peut plus se séparer. Étrangement, alors que nous ne nous connaissons que depuis quelques mois, c’est comme si nous avions passé toute notre vie ensemble. Certaines femmes peuvent modifier votre avenir. Celle-ci a changé mon passé. Elle m’a ouvert à moi-même.
Morgennes et Alexis sourirent, touchés par la naïveté et la beauté de ces paroles, surpris de les entendre dans la bouche d’un tel personnage.
— Qu’êtes-vous venu faire ici ? demanda Morgennes.
Tommaso regarda Alexis de Beaujeu, qui le rassura :
— Parlez sans crainte, nous n’avons rien à cacher à Morgennes. C’est à lui que nous devons la joie et l’honneur d’avoir retrouvé la Vraie Croix.
Chefalitione s’empara alors de la main de Morgennes, l’embrassa et la pressa sur son cœur.
— Santa Madonna ! s’écria-t-il. C’est à vous que nous devons d’avoir retrouvé Dieu ? Comment vous remercier ? Tout l’or du monde n’y suffirait pas !
— Demandez-vous plutôt si je ne nous ai pas éternellement privés de Dieu, soupira Morgennes. En vérité, en vérité… Je ne sais trop si ce que
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