Les chevaliers du royaume
cria-t-il. Alors que la chrétienté d’Orient est submergée par les flots d’une marée mahométane, vous, Républiques italiennes, prenez un malin plaisir à l’y enfoncer plus encore ! Que faut-il donc pour vous rappeler quel est votre camp ? Que je vous passe mon épée en travers du corps ?
— De l’or, lui répondit-on. De l’or suffira.
Balian parla de réquisitionner les navires et de s’en emparer avec ses chevaliers. Ce à quoi les Vénitiens répliquèrent que, s’ils agissaient de la sorte, ils ne verraient plus jamais d’autres navires que mahométans, et que ce seraient des galères.
Balian s’entretint alors avec Tommaso Chefalitione, capitaine marchand, homme d’une quarantaine d’années, propriétaire de nombreux palais à Venise et d’une vingtaine de navires, cogues et huissières. De tous les Vénitiens, il était le plus accommodant. Cependant, il tardait – comme les autres – à rentrer chez lui. Balian lui donna une cassette contenant moult pierreries, et lui promit, une fois le voyage accompli, tant de terrains, de châteaux et de fermes en Provence, que Chefalitione se demanda si Balian d’Ibelin n’avait pas perdu la tête.
Mais il était sérieux. Les garanties qu’il apportait semblaient sûres, et Chefalitione, que le commerce des armes avait rendu richissime, rêvait d’honneurs et de tenures à l’étranger que l’argent seul ne pouvait offrir.
— Occupez-vous de l’archevêque, lui dit Balian, et je vous assure que ni vous ni vos descendants n’aurez jamais à vous plaindre. Nous avons de quoi tenir, et, d’ici à quelques jours, les naves du Temple et de l’Hôpital seront là. Alors les prix baisseront…
Chefalitione, qui n’était pas bête – seulement très avide –, réfléchit un instant, se frotta le menton, et demanda :
— Votre offre est des plus généreuses. Puis-je savoir pourquoi vous dépensez tant pour ce jeune homme, qui est pourtant déjà fort riche ?
— Foutredieu ! fulmina Balian. Parce qu’il ne l’est apparemment pas assez pour vous ! Ensuite, parce que son père n’a pas hésité, autrefois, à donner sa vie pour sauver la mienne – et que depuis plus de dix ans il n’a d’autre famille que sa mère. Enfin, parce que l’objectif qu’il poursuit est juste et nécessaire, et que je veux y concourir. Rome doit être informée de ce qui se passe ici. Josias est un homme de parole, quelqu’un de droit qui sait empêcher les guerres inutiles. Grâce à lui, nous avons pu éviter que Guy de Lusignan ne prenne les armes contre Raymond III de Tripoli, quand celui-ci signa un pacte de non-agression avec Saladin.
Les paroles de Balian émurent Chefalitione. Ce n’était plus un simple travail, c’était une mission. De toute façon, il devait rentrer en Italie. Venise ou Rome, pour lui, c’était pareil. Alors, pourquoi ne pas y repartir en compagnie d’un homme d’Église ? La perspective de ce semblant d’aventure l’amusait. Cela le distrairait des conversations de marins, qu’il trouvait lassantes à force de répétitions : elles commençaient toujours par la mer, et finissaient invariablement dans le vin.
— C’est d’accord, dit Chefalitione en serrant la main de Balian. J’emmènerai l’archevêque de Tyr là où il souhaite aller, tant que ce n’est pas en enfer.
— Rassurez-vous, ce ne sera pas nécessaire. Contentez-vous de le conduire au Vatican, ce sera très bien.
— Même si là-bas le diable aussi a ses ambassadeurs, dit Chefalitione.
Ibelin éclata de rire et prit Chefalitione dans ses bras.
— Ah, capitaine ! Je vois que vous m’avez compris ! N’oubliez pas que l’homme que je vous charge d’escorter est un saint. Je compte sur vous !
— Soyez sans crainte, répondit le Vénitien, un fin sourire aux lèvres, se demandant comment quelqu’un d’aussi jeune que l’archevêque de Tyr pouvait déjà être un saint.
Pendant qu’on conduisait Josias et sa mère à bord de La Stella, Chefalitione et Ibelin continuèrent à deviser. Le Vénitien voulait savoir pourquoi Balian ne venait pas.
— Parce que je pars cette nuit pour Jérusalem, lui apprit-il. Je vais y chercher ma femme et mes enfants.
Chefalitione prit un air grave, et murmura :
— Vous savez que le prince des Enfers y dépêche le principal de ses suppôts : Saladin. Sous peu, les armées de ce démon grouilleront autour de la ville comme des asticots sur un corps.
— Et je compte
Weitere Kostenlose Bücher