Les chevaliers du royaume
le mieux l’œuvre de Guillaume. Il en avait pénétré l’esprit, et pouvait même le précéder, quand – vers la fin de sa vie – le vieil archevêque peinait à trouver un mot. Josias continuait ses travaux, et, déjà, donnait une suite à la célèbre Historia rerum in partibus transmarinis gestarum, où Guillaume relatait les premières années du royaume franc de Jérusalem.
Aujourd’hui, si Josias voulait quitter Tyr, ce n’était pas pour fuir, mais pour aller parler au pape. Il souhaitait lui rapporter les propos de Balian II d’Ibelin au sujet de Hattin, lui narrer la prise du Saint Bois, et lui exposer tous les malheurs dont les chrétiens de Terre sainte se voyaient frappés. Il voulait surtout rappeler au pape l’urgence qu’il y avait – pour le roi de France Philippe Auguste, le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt et pour l’empereur du Saint Empire romain germanique Frédéric Barberousse – de prendre la croix et de se rendre en Terre sainte.
Jérusalem, pour laquelle tant de chrétiens avaient donné leur vie, objet de près de cent années d’efforts et de luttes, était sur le point de tomber. La situation était telle qu’il suffisait à Saladin de se présenter devant ses murs pour en voir les portes s’ouvrir, faute de défenseurs aguerris. Sans armée, sans roi, sans la plus sainte de ses reliques, la ville pouvait être occupée sans combattre, tant les erreurs et les fautes de jugement de Guy de Lusignan – sûr de l’emporter face aux Sarrasins – l’avaient privée de ses défenses.
Il était d’ailleurs étonnant que la ville ne fût pas déjà redevenue mahométane. Dieu accordait-il un répit aux chrétiens ? Une dernière chance ? Josias n’aurait su le dire, et peu lui importait.
Une seule chose comptait : se rendre au Siège apostolique, et s’entretenir avec Urbain III.
Depuis l’annonce de la défaite de Hattin, Josias ne quittait pas le port et passait d’un navire à l’autre, pressant les capitaines de l’emmener au plus vite à Venise, à Marseille, à Pise ou à Gênes.
Mais les marchands avaient compris dans quelle urgence se trouvaient les nobles de Tyr et des villes les plus proches. Ceux qui avaient pu fuir encombraient à présent les auberges et les rues de l’illustre métropole, s’entassant à plusieurs dans une même chambre, ou se réfugiant sous une tente en poil de chameau hâtivement dressée sur la place du marché, maintenant grouillante de réfugiés.
Tout le monde voulait partir, et si possible sur-le-champ.
Alors les marchands faisaient monter les prix. On découvrit des avaries, dont nul n’aurait imaginé l’existence une heure auparavant. Mais pour un peu d’or, les réparations se faisaient. On inventa des autorisations et des papiers obligatoires, pour lesquels les autorités créaient des difficultés. Deux ou trois cents dinars, l’entrejambe d’une jouvencelle, et c’était arrangé. Bien entendu, ces documents n’existaient pas. Ils n’étaient qu’un moyen pour ces marchands – tous vénitiens – de s’enrichir davantage.
Afin de presser un départ on n’hésitait pas à mettre en vente sa demeure, ou à céder des terrains, qui se trouvèrent si subitement – et si nombreux – sur le marché que nul n’arrivait à s’en défaire : il n’y avait pas assez d’acheteurs. Tous ceux qui avaient quelque chose à perdre voulaient s’en aller, les autres, de toute façon, n’en avaient pas les moyens.
Quelqu’un se déclara intéressé. Un Vénitien, évidemment : il acquit, pour une bouchée de pain et la promesse d’une traversée, une jolie métairie et un très beau verger dans les faubourgs de la ville. Deux ou trois autres de ses pairs se manifestèrent, et plusieurs biens passèrent du côté de Venise. Les plus aisés des habitants de Tyr purent partir. D’autres offraient des maisons à Acre, ou des commerces à Sidon – mais personne n’en voulait : les Mahométans les occupaient déjà. Ils ne valaient plus rien.
Les gens s’affolèrent et menacèrent de monter à l’abordage des navires. Les capitaines répondirent en postant des gardes payés avec de l’or égyptien et des boisseaux de blé. L’agitation était telle que Balian II d’Ibelin dut intervenir. Avec Ernoul, son écuyer, et quelques-uns des vétérans de Hattin, il se rendit à la capitainerie de Tyr, épée et bouclier au poing.
Balian était fou de colère.
— Par la langue de Dieu !
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