Les chevaliers du royaume
recouvrant d’ombre les mystérieux chevaliers du Temple qui s’éloignaient vers le sud avec la Vraie Croix, un panache de fumée noire s’éleva en tourbillonnant dans un ciel chargé de nuages. Les deux nuées entrèrent en collision, formant un drapeau noir et gris, sinistre parodie du gonfanon des Templiers et des Hospitaliers.
Enfin, une imposante colonne, formée de plusieurs dizaines de milliers de prisonniers, se dirigea sous bonne escorte vers le nord.
— Où vont-ils ? demanda Morgennes.
— À Damas, répondit Saladin. Au marché aux esclaves, où tu seras vendu toi aussi.
Morgennes ne dit rien. Il contemplait le camp, qui peu à peu se vidait de ses occupants, et que les charognards videraient de ses morts.
LIVRE II
« Détruire ou convertir. »
(Devise des Templiers.)
8.
« La mer est une grande créature à la surface de laquelle naviguent, tels des vers sur un morceau de bois, de faibles créatures. »
(‘Amr ibn al-’As, en réponse à ’Umar ibn al-Khattâb.)
Le soir même de la défaite de Hattin, dans les rues de Jérusalem, Beyrouth, Acre, Tyr, Tripoli, retentirent ces terribles nouvelles : les Sarrasins s’étaient emparés de la Vraie Croix, la plus grande armée jamais réunie par les Francs avait été vaincue.
Quelques jours plus tard, on apprit qu’à l’est Tibériade et Séphorie étaient tombées, qu’au sud une armée venue d’Égypte marchait sur Jaffa, tandis qu’au nord Beyrouth et Sidon se voyaient à leur tour menacées. À l’intérieur des terres, Naplouse et le château de Toron étaient assiégés, ainsi que, sur la côte, Acre – par Saladin lui-même. Quant à Jérusalem, elle n’avait pour toute protection que deux vieux chevaliers, Algabaler et Daltelar, qui ne voyaient plus bien et dont les mains tremblaient.
Il n’y avait nul endroit où se réfugier, si ce n’est à bord des navires faisant la traversée de la Méditerranée. Ils furent aussitôt pris d’assaut par une foule inquiète, traumatisée d’avoir à quitter ce qui, au fil des générations, s’était changé en patrie. Souvent, des hommes arrivés quelques années plus tôt de France, de Provence ou d’Angleterre abandonnaient aux Sarrasins les femmes et les enfants qu’ils avaient en Terre sainte, et rentraient dans leur foyer d’origine, où, pour la plupart, une autre femme, d’autres enfants, les attendaient.
À Tyr, Balian II d’Ibelin, seigneur de Naplouse et de Caymon, fit son entrée avec ce qui restait des rescapés de Hattin. Le port débordait d’activité. De nombreuses galées marchandes, ne pouvant accoster les ports d’Acre, de Beyrouth ou de Sidon – dont les abords étaient rendus dangereux par la présence de nefs de guerre mahométanes – venaient y décharger leur cargaison, généralement des armes revendues à prix d’or. Ensuite, leurs cales emplies de réfugiés en guise de marchandises, les navires faisaient voile vers Marseille ou Venise. Certains passaient par Chypre, d’autres par la Sicile.
C’est à leur bord qu’il fallait monter pour aller à Rome.
Or c’est à Rome que voulait se rendre le jeune archevêque de Tyr, Josias, qui entrait alors dans sa vingt-deuxième année.
Josias avait été nommé archevêque de Tyr en 1185, six jours après la mort de son prédécesseur, le vénérable Guillaume. Urbain III, sensible aux prêches de Guillaume visant en vain à convaincre les têtes couronnées d’Europe de se rendre en Terre sainte, avait accepté la nomination de ce jeune homme, dont nombre de prélats lui avaient chanté les louanges.
Urbain III voyait en Josias l’héritier de Guillaume, et il avait raison.
De mère libanaise, chrétienne maronite, et de père français, Josias était ce qu’on appelait un « poulain » : un de ces sang-mêlé, jamais vraiment chez lui, où qu’il résidât. Trop blanc, trop blond, trop grand, pour les Orientaux, on lui aurait reproché son accent et son teint hâlé si par malheur il était allé en Occident. Mais Josias, né à Tyr, n’avait jamais quitté sa ville natale.
Guillaume, touché par sa sensibilité et son intelligence, l’avait pris sous son aile et lui avait appris à lire et à écrire. À ses côtés, le jeune homme découvrit le travail d’un clerc, d’un archevêque.
Grandissant à l’ombre des pupitres, s’usant la vue à force de coucher par écrit les pensées de son maître, Josias était de tous les ecclésiastiques celui qui connaissait
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