Les chevaliers du royaume
rapportèrent les Mahométans, « immobile et muette, comme si un oiseau était posé sur sa tête ». Parmi elle, quelques hommes enturbannés de gris prirent position aux quatre coins de la place du marché, passant entre les chevaux et les ânes, cherchant à se fondre dans l’ombre des étals, des ballots et des couffes de riz. Quand il fut à deux pas du marchand, le plus grand des hommes en manteau blanc lui mit dans la main une lourde bourse de cuir, et décréta :
— Cet homme est à nous !
— Cent dinars ! s’exclama le Kurde, qui n’en croyait pas ses yeux. Qui dit mieux ?
L’homme en blanc l’attrapa par le col :
— Je répète : cet homme nous appartient !
Le manchot s’avança et cracha :
— Pas si vite ! Qui vous permet de renchérir sur notre offre ? Et d’abord, qui êtes-vous ?
L’homme en blanc se tourna lentement vers le Maraykhât, l’attrapa par le poignet et commença à lui tordre le bras.
— Par le pouvoir de Dieu et de la Vierge Marie toute-puissante, si tu veux garder ton dernier bras, tu ferais bien de m’écouter ! Je viens ici pour acheter un homme qui nous revient de droit !
Il releva son capuchon, révélant une tonsure d’un blond presque blanc et une barbe fournie. Une hideuse marque en forme de croix, faite au fer rouge, ornait son front. Il regarda la foule sans sourciller. Un sourire cruel dévoila ses canines. On le sentait fier de son exploit : s’introduire au beau milieu de l’une des plus grandes villes de l’empire de Saladin.
— Les Templiers ! s’exclama le manchot. Vous n’avez pas le droit d’être ici ! Nous allons vous étriper !
— Nous sommes venus en paix, pour commercer avec vous ! Vous devez nous laisser tranquilles tant que nous ne sortons pas les armes !
Morgennes frémit : il avait reconnu Kunar Sell, redoutable moine guerrier d’origine danoise. Celui-ci avait tué plus de Mahométans qu’aucun de ses frères, et montrait à le faire une hargne et un plaisir sans pareils. Pour une raison que Morgennes ne s’expliquait pas, ce fou s’était fait tatouer une croix sur le front et avait retiré de ses vêtements la croix rouge des Templiers.
Morgennes se cramponna de plus belle à Massada :
— Achète-moi ! Achète-moi !
Massada, redoutant que les Templiers ne s’intéressent à lui de plus près, tenta de repousser Morgennes ; mais il fallut l’intervention du marchand d’esclaves pour l’éloigner de lui.
— Va donc auprès de tes futurs nouveaux maîtres ! ordonna le Kurde.
Il tira Morgennes vers l’arrière, si violemment que le vêtement de Massada se déchira. Celui-ci chercha à cacher son bras nu, mais trop tard :
— Je peux te sauver ! cria Morgennes, qui avait tout vu. Fais-moi confiance, tu ne le regretteras pas !
— Tu le jures ? demanda Massada, d’une voix tremblante.
— Sur les trois Livres saints, je t’en donne ma parole !
Massada, enveloppant son bras dans le carré de soie noire qu’il avait ramassé sur la route, demanda au marchand d’un ton résolu :
— Combien ?
Bien conscient qu’il ne retrouverait jamais pareille aubaine, le Kurde prit une profonde inspiration, et lança, comme par défi :
— Mille dinars !
C’était plus qu’il n’avait gagné depuis la victoire de Hattin.
— Paie-le, dit Massada à Fémie.
— Nous n’avons pas assez…, murmura Fémie.
Voyant les Templiers sortir de nouvelles bourses de sous leur cape, Massada interpella le marchand d’esclaves :
— Approche ! Combien pour tous tes esclaves ?
— Quoi ? Tu veux dire, toute ma marchandise ?
— Oui.
Le commerçant se retourna, compta une quarantaine de moribonds, en plus de Morgennes. D’ailleurs, hormis ce dernier, le reste ne valait rien et l’encombrait plus qu’autre chose. Il risqua tout de même :
— Mille cinq cents dinars.
— Allons, renifla Massada, fais un effort. La plupart de ces hommes ne tiendront pas deux jours.
— Mille trois cents.
— J’ai une proposition à te faire, et ce sera la dernière. Écoute-moi bien, misérable : acceptes-tu les bijoux ?
— Les bijoux, oui, l’or, l’argent, tout ce qui fait briller les yeux des femmes et permet à un homme de s’en faire bien voir…
— Alors paie-toi sur elle ! dit magistralement Massada en désignant Fémie. Elle a tout ce qu’il te faut, et même plus.
Le Kurde s’approchait de Fémie, excité à la vue des bijoux qui couvraient
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