Les chevaliers du royaume
Pour eux, il n’y avait que des ennemis. Ils faisaient des ravages, massacrant indistinctement les vieux, les femmes, les hommes et les enfants.
Quelques flèches volèrent alors au-dessus de leurs têtes, et deux des ombres sortirent de sous leur cape un grand manteau gris, dont elles recouvrirent les Templiers avant de les emmener plus loin, pour les évacuer. Ils s’enfuirent à la vitesse de l’éclair, le corps plié en deux, tranchant jambes, bras et mains, s’ouvrant à grands coups d’acier un chemin de sang vers un passage connu d’eux seuls. Voyant cela, Yaqoub – le manchot – se précipita dans leur sillage et enjoignit aux siens de le suivre.
Il tenait absolument à en savoir plus sur ces deux Templiers blancs, et surtout sur ces mystérieux hommes en gris qui les avaient aidés à s’échapper. Il tenait surtout à s’associer à ces individus, pourvu qu’ils le laissent retrouver Morgennes – et l’écorcher vif.
12.
« Malheur à celui qui n’ensanglante pas son glaive. »
(Parole du Prophète.)
Deux heures plus tard, la place n’était plus qu’une multitude de blessés, d’agonisants et de morts. Des soldats passaient entre les corps, sabre au poing, et les retournaient afin de voir leur visage. Shams al-Dawla Turansha, l’atabeg de Damas, les suivait, les mains nouées derrière son corps épais, qu’il promenait dans la ville tel un hippopotame dans un marais. Il était accompagné de son escorte et de quelques médecins et infirmiers du bimaristan al-Nûrî. Dont le docteur Ibn al-Waqqar, qui avait le nez fort busqué et était maigre à faire peur.
Ce n’était pas la première fois que la ville connaissait pareil malheur, mais jamais il n’y avait eu autant de victimes : près de cent soixante, sans compter les dégâts matériels, maisons endommagées, étals renversés, marchandises parties en fumée ou dans l’escarcelle de Ali Baba.
Le docteur al-Waqqar fulminait au milieu des blessés, essayant tant bien que mal, ici, de cautériser une plaie, là, de poser une attelle, ailleurs, de donner un conseil ; enfin, partout pestant contre les soldats de l’atabeg qui n’avaient fait aucune différence entre les simples badauds et les présumés responsables de cette tragédie.
D’ailleurs, comment auraient-ils pu la faire ?
À présent, une seule chose importait : comprendre ce qui s’était passé et reconstituer les événements. Saladin ne tarderait pas à être informé de la tuerie et réclamerait sur-le-champ un rapport à l’atabeg, son demi-frère. D’où l’extrême état d’agitation de Shams al-Dawla Turansha, et les efforts qu’il déployait pour donner l’impression de tout faire pour que l’enquête aboutisse au plus vite ; même si la plupart des victimes étaient à mettre au compte de ses propres soldats.
Depuis plusieurs semaines, l’étoile de Saladin, montant au firmament au gré de ses victoires, avait pour ainsi dire « réveillé les ténèbres ». De l’ombre dans laquelle ils s’étaient tapis pendant de nombreuses années avaient resurgi les membres de la secte chiite des Batinis, mieux connus sous le nom d’Assassins. Alors que Damas et les Ayyubides avaient déjà fort à faire avec les Caïnites – qui adoraient Caïn et Judas –, les Rejetons d’Abraham – qui sacrifiaient à Dieu leur premier-né –, et les Ahrimanites – qui vouaient un culte au dieu perse du Mal Ahriman et s’opposaient violemment aux disciples d’Ormuz, le dieu du Bien –, la puissante secte des Assassins avait porté son regard au sud-ouest de la Syrie et cherchait à y étendre son pouvoir auprès des Druzes – qui vénéraient al-Hakim. En outre, d’autres factions séditieuses préoccupaient Saladin : les mouvances ébionites, elkésaïtes, marcosiennes et mérinthiennes, en lutte contre les hautes autorités mahométanes, judaïques et chrétiennes ; les Ophites, qui croyaient au Serpent et élevaient aspics, cérastes et crotales par milliers dans des temples dédiés à leur dieu ; ainsi que l’habituel cortège de créatures extraordinaires, tels les ettins (qu’on disait hanter les montagnes du Liban), les démons, les djinns, les striges, mais aussi les cercopes (redoutables guerriers, à la fois hommes et singes), les empuses et les gelludes – respectivement démons et vampires venus de la Grèce antique en passant par Byzance. Leur existence n’était pas avérée, même si beaucoup y croyaient, mais la rumeur
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