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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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leur attribuait toutes sortes de méfaits. Pas une semaine sans qu’on ne trouve un corps vidé de son sang, pas un mois sans qu’un individu ne perde la tête et ne massacre sa famille avant de se donner la mort, pas une année sans une naissance étrange (généralement celle d’un être à la peau noire, baragouinant des mots d’araméen), pas une décennie sans qu’une paire d’ailes de chauve-souris ne pousse dans le dos d’une femme. Sans parler de ces hommes à qui, la nuit, poussaient des cornes, et qui au réveil se mettaient à beugler comme des taureaux. Il s’agissait certes de mystères, certes ils étaient horribles, mais on les préférait encore aux agissements des redoutables Assassins.
    Rachideddin Sinan, leur chef, avait placé ses hommes à tous les endroits stratégiques de la société mahométane : mosquées, magasins, ports, maristans, palais, prisons, casernes, et même – se murmurait-il – dans les harems, où houris et eunuques travaillaient à le renseigner. Cette toile invisible d’agents, ce réseau d’informateurs, était l’un des meilleurs de l’Orient, voire du monde. Pas un mouvement de troupe, pas une décision, pas une levée d’impôts, pas une promotion ou un départ de bateau n’avaient lieu sans que Sinan n’en fût avisé.
    Deux choses renforçaient les Assassins, leur donnaient ce courage aveugle et cette détermination qui les rendaient presque invincibles : la haine et la peur. La haine était celle qu’ils avaient pour les sunnites, c’est-à-dire la majorité des Mahométans, accusés de félonie et de trahison. La peur était celle que l’on avait d’eux, et qui ne leur laissait pas d’autre choix que la victoire ou la mort.
    Le Vieux de la Montagne, leur vénérable chef, avait dit : « Rien n’est vrai, tout est permis. » Il disait aussi que la vie n’était qu’un leurre, que la vraie vie se trouvait ailleurs, et qu’il avait les clés du paradis.
    Rachideddin Sinan avait donné l’ordre à ses troupes d’attaquer. Partout, il fallait frapper l’ennemi à la gorge, et pour l’empêcher de guérir, frapper, frapper encore, et recommencer. L’obliger à garder des troupes en ville pour l’affaiblir sur les champs de bataille ; terroriser la population pour lui donner envie de fuir ou de se rebeller contre l’autorité ; ruiner le commerce pour appauvrir Saladin et fâcher les marchands ; enlever les familles des oulémas les plus en vue afin de les faire chanter ; poignarder impitoyablement ceux qui voulaient la paix et s’efforçaient d’être justes, droits, humains. Se montrer si abominable enfin, de sorte que tous se disent : « Dieu doit être avec lui, puisque le droit ni la force ne peuvent rien contre lui. »
    — L’humanité, maintenant, c’est moi ! criait Sinan du haut de sa forteresse de Masyaf, les bras levés en direction du crépuscule, dédiant ses victoires aux Sept Silencieux (les sept principaux imams des ismaïliens) et à son souverain : Tawil at’Umr (le Maître des Clés et des Portes).
    — Je vengerai ta mort, Ali ! criait-il au nord, avant d’ajouter, au sud : la tienne aussi, Ismaël ! Puis à l’est : et la tienne, Mahomet ! Et à l’ouest : la tienne aussi, Jésus !
    Il tenait deux longs glaives écarlates, qui déchiraient le ciel et sabraient l’horizon de traînées rougeoyantes, entre lesquelles le soleil se couchait. Il croisait leur fer en d’obscures figures, censées ressusciter les forces du jour et de la nuit, unir le trouble et le clair, le sens et le non-sens, donner aux hommes la révélation, l’explication de l’univers.
    Mais rien ne survenait. Seul, au-dessous des nuages, un faucon décrivait de grands cercles parfaits.
    Exténué, Sinan laissa retomber ses bras. Il lui sembla redescendre du ciel pour se poser sur le donjon de sa forteresse, qui – paradoxalement – était un puits creusé au sommet du plus haut mont du djebel Ansariya, aux pics escarpés éternellement recouverts de neige. Ses hommes y avaient aménagé tout un réseau de galeries et de salles.
    Il repartit vers ses appartements, dont les fenêtres taillées dans la roche donnaient sur le désert de Chamiya, d’où avait surgi, en 1176, l’armée de Saladin venue l’assiéger une première fois, en vain. Des rideaux de laine blanche masquaient ces ouvertures et permettaient à la pièce de garder une température, sinon agréable, du moins convenant à un homme habitué aux

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