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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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Yallah ! s’exclama-t-elle soudain. Et vas-y, Rouh ach-cham ! ajouta-t-elle sur un ton aigre.
    — Qu’est-ce qui t’arrive ? la houspilla Massada.
    Fémie prit un air effrayé, sortit de sa torpeur, palpa de ses doigts boudinés quelques colifichets qui n’étaient plus là, et répondit :
    —  Rouh ach-cham !
    — Elle perd la tête, susurra Massada à Morgennes. Il jeta un regard noir à sa femme, et poursuivit tout bas : chacune de ses mamelles contiendrait aisément aujourd’hui les deux seins qu’elle avait avant d’enlaidir. Autrefois, c’était un joli petit chaudron, maintenant c’est une grosse marmite… Je ne comprends pas quel sortilège a pu agir ainsi. De même son caractère. Avant de m’épouser, elle était comme du miel ; maintenant, on dirait du vinaigre. Est-ce le mariage qui fait cela ?
    Morgennes ne répondit pas. Il écoutait Massada tout en gardant l’œil fixé sur la route, qui montait doucement vers la montagne, et la forteresse. Par moments, celle-ci disparaissait derrière un pan de roche. Pourtant, on sentait tout le temps sa présence. On aurait dit que la végétation elle-même courbait la tête devant sa puissance, tant l’énergie dégagée par le krak était considérable. Impossible de l’oublier, de l’ignorer. Les aspérités du terrain, les arbres convulsés, les plantes sèches et jaunes, l’air sec et jusqu’aux bruits, qui étaient étouffés : tout portait la marque de la formidable forteresse vers laquelle ils se dirigeaient. Elle était le point d’orgue du djebel Ansariya, et lui signifiait : « Montagnes vous êtes nées pour moi ! »
    En fait, il était difficile de discerner qui de la montagne ou du krak des Chevaliers était né le premier, tant la nature semblait dire : « J’ai fait cette montagne pour le krak : à vous, humains, de l’y construire. » Et les humains l’avaient construit, au sommet du djebel al-Teladj (la « Montagne de la Neige »).
    Le krak était pour Morgennes l’illustration parfaite d’un très ancien débat qui avait violemment animé, et animait encore, la chrétienté : fallait-il agir en fonction de la fin des temps, ou de la fin de chaque individu pris en particulier ?
    Pour les partisans de la première doctrine, il suffisait de pratiquer la politique du pire. Semer le chaos sur terre. Susciter l’Apocalypse, de telle sorte que le règne de l’Antéchrist arrive, et que Notre Sauveur soit contraint de contre-attaquer avec son armée de 144 000 guerriers au front tatoué de son nom. Alors l’humanité tout entière – après avoir été jugée – sera sauvée.
    Cette école avait ses aficionados. Fort heureusement, ils n’étaient pas très nombreux. Et Morgennes n’en était pas. Dans le mal pour le bien il ne voyait jamais que le mal ; d’autant que, depuis que le monde était né, on ne cessait d’annoncer la fin des temps, pour demain, pour la fin de la semaine prochaine, dans un an, dix ans, un siècle… Si tous les prophètes de malheur qui s’étaient succédé sur terre avaient eu raison, seul le premier d’entre eux aurait pu crier. Apparemment, tous s’étaient trompés. Et pourtant, cela continuait : pas une année, pas un mois, pas une semaine sans fin des temps !
    Pour les tenants de la seconde doctrine, il fallait tout faire pour s’offrir et offrir aux autres une place au paradis. Permettre à chacun de connaître, ici, maintenant, une vie meilleure en vue de se préparer à sa future vie au ciel. Bien sûr, c’était le travail des prêtres : à eux de cultiver le champ des âmes, mal dégrossies d’ailleurs, qui vivaient en ce siècle. À eux d’y faire pousser le plus de justes et de saints possibles. Les prétendus engrais se nommaient « confession », « sacrement », « bénédiction », « indulgence », « rémission »… et les mauvaises herbes « péché », « simonie », « parjure », « paganisme », « polythéisme », « impiété »…
    Morgennes n’avait que faire de tout cela.
    Le paradis, s’il existait, ne pouvait se gagner par la souffrance ou par la joie, ne se méritait pas en priant, ne s’achetait pas en faisant des dons d’argent à l’Église, au Temple ou à l’Hôpital, ni en payant des pèlerins professionnels afin qu’ils aillent prier à Jérusalem en votre nom. La tombe de Jésus n’était pas un endroit, c’était une image, une idée. Un état d’esprit. Peu importait d’ailleurs la

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