Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
Vom Netzwerk:
étudié avec intérêt.
    — Messire Morgennes ! Mais on vous disait mort !
    Morgennes leva la main pour se protéger les yeux et distinguer qui lui parlait, mais il était aveuglé. La voix, pourtant, ne lui était pas inconnue.
    Il demanda :
    — Emmanuel ?
    — C’est moi, beau sire, répondit la voix avec émotion.
    L’ancien écuyer de Morgennes fit deux pas en avant. Il portait maintenant le manteau noir à croix blanche des chevaliers de l’Hôpital, et son allure avait gagné en autorité.
    — Eh bien, dit Morgennes en le voyant, te voilà donc un homme à présent !
    — Oui, répondit Emmanuel, qui se sentait coupable de ne pas avoir été adoubé par celui dont il avait été l’écuyer pendant de si longues années. Le frère commandeur Alexis de Beaujeu m’a fait chevalier le jour de l’Assomption de Notre-Dame… Le krak manquait cruellement de frères, et nul ne pensait vous revoir ici-bas…
    — Tu vois, je suis encore en vie, dit Morgennes.
    Le visage ruisselant de larmes, Emmanuel s’approcha de Morgennes, qui put ainsi mieux le regarder. Physiquement, il n’avait pas changé. Son visage poupin lui donnait toujours ce même air enfantin qu’une épaisse barbe noire venait atténuer. Sa bouche tremblait. Il ne cessait de répéter :
    — C’est bien vous, oui, c’est bien vous…
    Tout à coup, il pâlit, comme devant un revenant.
    — Qu’est-il arrivé à votre œil ?
    — Un Mahométan me l’a pris…
    — Au fait, pourquoi m’avoir dit tout à l’heure que vous étiez mahométans ?
    — Parce que c’est ce que je suis, répondit Morgennes.
    Emmanuel le regardait sans comprendre.
    — Vous n’êtes pas au courant ? s’étonna Morgennes.
    — Venez, dit Emmanuel. Nous allons vous conduire au château, là-bas, vous nous raconterez tout.
    Il fit un signe à l’escorte, et le petit groupe se remit en route. Le krak des Chevaliers n’était plus qu’à quelques pas devant eux, et dressait vers le ciel ses hautes murailles comme les parois d’un tombeau.

14.
    Sit tibi copia, Sit sapientia, Formaque detur Inquinat omnia sola, Superbia si comitetur.
    (« Aie la richesse, aie la sagesse, aie la beauté, mais garde-toi de l’orgueil qui souille tout ce qu’il approche. »)
    (Inscription gravée sur le pilier nord de la galerie bordant la grande salle du krak des Chevaliers.)
    Tout pays possède, à un moment de son histoire, un ou plusieurs monuments qui donnent sa mesure, permettent de cerner son présent, son passé, l’avenir qu’il se rêve. Jadis, l’Égypte des pharaons a eu les pyramides, Babylone ses jardins suspendus, la Rome impériale son cirque, Byzance ses Hippodromes, Jérusalem son Temple. La France n’existait pas autrement que par Rome, et se cherchait à petits pas.
    En 1187, Mykérinos a donné à l’Égypte la plus belle de ses citadelles : le château de la Montagne, bâti au Caire par Saladin ; les jardins de Babylone ne sont plus, mais non loin de là, à Bagdad, un observatoire permet d’y scruter les étoiles ; Rome a la basilique vaticane ; Byzance, devenue Constantinople, a Sainte-Sophie ; le Temple de Jérusalem a été plusieurs fois détruit et reconstruit, tandis que deux nouvelles religions y établissaient d’importants lieux saints : la chrétienté, l’église du Saint-Sépulcre, et l’Islam, le dôme du Rocher. La France, enfin, existe, et a entrepris de se donner sous la houlette de Maurice de Sully la plus extraordinaire des cathédrales : Notre-Dame de Paris.
    Quant aux Francs de Terre sainte, ils ont, outre Jérusalem et le tombeau du Christ, le krak des Chevaliers.
    Ces deux édifices – le Saint-Sépulcre et le krak des Chevaliers – résument à eux seuls les tendances opposées, et cependant indissociables, qui écartèlent le pays, déchirent ses habitants, et les réconcilient pourtant.
    L’un rappelle aux croyants la prééminence d’un royaume qui n’est pas de ce monde, l’autre se veut le garant de la foi et de la liberté de ceux qui vivent ici-bas.
    Tous deux ont quelque chose de martial et de sacré. Le Saint-Sépulcre avec ses tentures aux armes de Jésus, ses froides colonnes, son air embué de vapeurs d’encens, ses murmures, ses répons, la mine grave et pénétrée de ses pénitents, l’écho glacé de leurs pas et de leurs prières ; le krak des Chevaliers, avec son dépouillement, la simple beauté de ses murs, la mine pieuse de ceux qui s’y promènent dans de grands

Weitere Kostenlose Bücher