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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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manteaux noirs à croix blanche, ses Pater Noster qui résonnent de salle en salle, ses credo, ses homélies. Là, on aide les hommes à monter jusqu’aux Cieux ; ici, on aide Dieu à s’établir sur terre.
    Tout opposées qu’elles soient, ces bâtisses sont inséparables de l’esprit des croisés et sont l’exacte représentation de la plus spécifique des nobles inventions du XII e siècle : le moine chevalier.
    La fine fleur de ce qui restait des Hospitaliers établis en Terre absolue était réunie dans la salle principale du krak, prête à continuer d’entendre le beau doux frère Morgennes, gardien du Saint Bois.
    Emmanuel avait mené, par les hautes salles voûtées, les escaliers et les couloirs en pierre du château, Massada et Fémie dans une chambre attenante à l’un des dortoirs des moines chevaliers. Yahyah dormirait à la cuisine, avec Babouche, sur un peu de paille étalée par terre. Carabas irait aux écuries, rejoindre les trois cents chevaux et la centaine de chameaux qui attendaient là leur cavalier, leur fardeau de flèches, de vivres ou d’eau.
    Mais à leur arrivée, malgré l’heure tardive, afin de leur témoigner l’estime dans laquelle était tenu Morgennes, et avant de l’écouter, tous furent conduits à la grande salle du krak, au plafond clouté d’or et au sol tapissé de joncs. Elle servait de réfectoire aux frères. Les chapitres des Hospitaliers s’y tenaient, sous les hautes voûtes en berceau percées de trous laissant passer la nuit. Aux piliers qui les soutiennent, et qui partagent la salle en neuf, des chandelles de suif se consumaient en fumant, balafrant la chaux des murs de longs traits noirs qu’il faudrait frotter au matin. Un sergent en manteau noir à croix blanche jetait des bûches dans l’âtre : ici les nuits étaient aussi froides que l’infini.
    Les flammes du brasier commençaient à peine à réchauffer la salle quand deux moines chevaliers entrèrent afin de servir une collation aux nouveaux arrivants : au krak des Chevaliers, le repas rassasiait même les plus affamés ; et jusqu’aux frères qui étaient punis – et donc prenaient leurs repas sur les dalles du sol avec les chiens, non loin du commandeur de la place – tous étaient bien nourris. On n’envisageait pas de laisser sans force les corps de ceux qui devaient se battre et peut-être mourir pour le Christ.
    Partageant l’écuelle et le pain de froment de Morgennes, Massada jetait des regards inquiets aux nombreuses personnes assises de l’autre côté de la table.
    Une douzaine de frères de l’Hôpital les contemplaient en silence – à peine échangeaient-ils parfois un murmure –, mais on devinait à leur mine sévère le nombre et la nature des questions qu’il leur brûlait de poser : à Morgennes, à Fémie, à Massada, voire à Yahyah – qui, aux cuisines, s’emplissait l’estomac d’un chapon.
    Morgennes prit le temps de savourer chaque bouchée. Depuis combien de temps n’avait-il pas mangé à satiété ? La nourriture au bimaristan al-Nûrî était des plus frustes, quant à celle servie aux esclaves, elle ne suffisait pas à les nourrir.
    Il retrouva avec plaisir la saveur des aliments préparés par les siens, et se délecta des sensations naissant dans son palais ; sensations que la cuisine mahométane, trop épicée à son goût, ne lui procurait pas. Amertume légère de la purée de pois, adoucie par le sucré d’une datte ; moelleux de l’omelette aux œufs frais, rafraîchie par la menthe et parfumée de barbotine. Le vin qu’on leur avait corné, coupé au miel et à la cardamome, était un tel délice qu’il en oublia pendant un instant ce qu’il avait vécu, ce qu’il allait dire, ce qu’il lui faudrait subir.
    Le frère chargé de leur faire la lecture des Évangiles ferma la lourde Bible posée sur un lutrin placé devant lui. Il n’y eut plus un bruit, hormis celui du vent. Morgennes s’essuya la bouche à la nappe, croisa les mains, et demanda du regard au frère commandeur l’autorisation de rompre le silence. L’ayant reçue, il proposa :
    — Beaux doux frères, souhaitez-vous entendre à présent mon histoire ?
    Le frère commandeur opina du chef, et Morgennes leur raconta tout, dans les moindres détails, sans jamais hausser la voix, et en prenant soin de présenter chaque fait sous son jour le plus neutre possible, précisant pour chacun s’il en avait été le témoin direct, ou, dans le cas contraire, qui le

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