Les cochons d'argent
fils encore en vie. Le rôle de survivant ne me déplaît pas !
Son irritation était perceptible. Il trouvait que je faisais trop peu de cas des affaires politiques. J’aurais pu lui retourner le compliment. Nous étions deux joueurs de dames dans une partie bloquée.
— Vous êtes prêt à courir le risque qu’on assassine Vespasien ? Oh, Falco ! Replonger le pays dans la guerre civile ? Démanteler l’Empire ? De nouveau la guerre, l’instabilité, le sang romain coulant dans les rues ?
— Certaines personnes sont grassement payées pour protéger l’Empereur, rétorquai-je, les dents serrées. Moi, on me paye de mensonges et de promesses !
Subitement je perdis patience. Je n’avais aucun avenir avec ces gens-là. Ils m’avaient trompé et avaient tenté de se servir de moi. Par le passé, d’autres hommes, plus retors que lui, avaient aussi commis l’erreur de me prendre pour un bouffon – ils avaient compris leur erreur. Ayant retrouvé mon calme, je mis fin à cette mascarade.
— Vespasien n’aime pas les enquêteurs, pas plus que je n’aime les empereurs. J’ai cru vous apprécier, mais l’erreur est permise, surtout à une brebis perdue parmi les chacals ! Monsieur, je vous salue bien bas !
Je sortis comme j’étais arrivé. Il ne chercha pas à me retenir. Je l’avais déjà remarqué, c’était un homme intelligent.
Je traversais rageusement le vestibule où gargouillait toujours la fontaine, quand j’entendis siffler.
— Falco ! (C’était Sosia.) Venez dans le jardin, je veux vous parler !
Il n’eût pas été convenable de bavarder avec la jeune fille de la maison, même si j’étais resté au service de son oncle. Je préfère ne pas froisser les sénateurs en me mêlant de leurs histoires de famille au beau milieu du vestibule, au vu et au su de tous les serviteurs. Si j’avais à parler à Sosia – et comment ne pas lui parler, maintenant que sa noble personne m’avait adressé la parole… – il faudrait que ce soit bref. Malgré tout, les convenances imposaient de rester dans le vestibule. Je tapotai du pied sur les dalles en marbre.
— Oh, Didius Falco, s’il vous plaît !
Par pur dépit, je la suivis.
Elle me conduisit vers une cour intérieure dont je n’avais pas remarqué l’existence précédemment. La pierre blanche éblouissante contrastait avec le vert sombre des cyprès taillés. Il y avait des colombes, et une fontaine plus grande encore que celle de l’entrée, où l’eau coulait. Un paon se fit entendre derrière une des urnes couvertes de lichen où l’on avait planté d’élégants lis blancs. C’était un endroit calme et agréable, d’une fraîcheur appréciable, mais je refusai de me glisser à l’ombre de la pergola pour m’y faire amadouer. Sosia s’assit ; je restais face à elle, les bras croisés. Cela valait sans doute mieux – je mourais d’envie de passer un bras autour de sa taille, mais j’étais resté debout pour ne pas succomber à la tentation.
Elle portait une robe rouge, avec un revers damassé. Cela faisait ressortir sa peau très pâle, malgré les couleurs qu’elle y appliquait. Lorsqu’elle se pencha vers moi, le front plissé, elle avait vraiment l’air d’une petite créature désemparée. Elle semblait vouloir s’excuser au nom de toute sa famille. Elle aurait voulu gagner ma sympathie. À mesure qu’elle parlait, je lui découvrais une franchise que je n’avais pas soupçonnée. J’ignorais d’où lui venait cette qualité, mais elle ne se laissait pas marcher sur les pieds.
— J’ai tout entendu, Falco ! Vous ne pouvez pas laisser Vespasien se faire assassiner ! Je suis sûre qu’il va être un très bon empereur.
— J’en doute fort, dis-je.
— Il n’est pas cruel. Il n’est pas fou. Il vit très simplement. Et c’est un travailleur acharné. Je sais bien qu’il est vieux, mais il a un fils très capable…
Elle avançait ses arguments avec beaucoup de cœur. Elle y croyait – mais je savais bien qu’elle n’avait pas élaboré un tel argumentaire toute seule. J’étais assez surpris que Vespasien, peu familier des rouages traditionnels du pouvoir, suscite un tel soutien. Aucun membre de sa famille avant lui n’avait occupé de poste influent – je ne lui en tenais pas rigueur, dans ma famille non plus !
— Qui vous a farci la tête avec ces balivernes ? m’emportai-je.
— Helena.
Helena… La cousine dont elle m’avait parlé,
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