Les cochons d'argent
fait.
Bon. Ce n’était donc pas la garde prétorienne qui avait enlevé Sosia. Une hypothèse à vrai dire peu plausible : elle ne se serait pas échappée si facilement. Voire pas du tout.
— Il va falloir que je leur parle. Tu n’as pas un nom, par hasard ?
Astia ne savait pas grand-chose. Elle me dit tout de même que leur capitaine s’appelait Julius Frontinus. Appartenant à un régiment d’élite, ce devait être un homme d’un certain rang, donc doté de trois noms. Deux d’entre eux me suffiraient sans doute pour mettre la main dessus. Pour la première fois de ma vie, j’allais solliciter volontairement une entrevue avec la garde prétorienne de l’Empereur.
15
Le camp de la garde prétorienne se trouvait à l’autre bout de la ville. Je m’y rendis d’un pas mesuré. Je craignais de me retrouver, dès mon arrivée, écrasé sous la botte du premier garde venu, telle une vulgaire coquille d’œuf.
Je repérai sans peine Julius Frontinus. Il portait une cuirasse émaillée et un ceinturon à grosse boucle d’argent. Mais surtout, il avait appris son alphabet sous la tente de l’école primaire de mon quartier, sur les mêmes bancs qu’un voyou frisé du nom de Didius Festus. Aux yeux de Julius Frontinus, je n’étais ni plus ni moins que le petit frère d’un héros national. Ne pouvant plus traîner Festus vers une taverne pour y boire joyeusement – il était mort dans le désert de Judée – il m’y emmena à sa place.
Le bar à vin se trouvait à l’extrémité nord-est de Rome, près de la porte Viminale. C’était un établissement discret et soigneusement tenu, grouillant de soldats des divers régiments de la ville. Il y régnait une ambiance très professionnelle. On n’y servait pas à manger et aucune femme n’était présente. En revanche, on y proposait tous les genres d’alcool, chaud ou froid, du plus commun au plus épicé, à des prix nettement supérieurs à la moyenne – mais Julius Frontinus ne me laissa pas payer. Seul, j’aurais cherché en vain à mettre le pied à l’intérieur, mais accompagné de Frontinus, personne ne me prêta attention.
Nous nous sommes assis à côté d’un groupe d’hommes robustes, bien cuirassés, qui ne laissèrent rien échapper de notre conversation, mais sans jamais intervenir. Frontinus les connaissait sans doute ; ils ne parurent pas surpris de ce qu’il avait à me dire. Je mis tout de même un certain temps avant de le faire parler. Quand un homme de son espèce vous invite à boire, il va de soi qu’un cérémonial précède toute discussion sérieuse. Dans mon cas, et pour son plus grand plaisir, il s’agissait de parler de héros et de bravoure. Jusqu’à ce que nous soyons tous les deux pleins comme des outres.
Après avoir parlé de Festus et juste avant de tomber raide, je lui posai quelques questions. Frontinus me répondit, avant de me renvoyer chez moi, dans la charrette d’un charpentier, au milieu d’un chargement de tuiles.
— Pourquoi diable a-t-il fait cela, dit Frontinus, pensif. Arrivé le premier en haut du mur d’enceinte de Béthel, il allait forcément être tué le premier. Maintenant, il n’a plus qu’à passer l’éternité à contempler sa tombe blanchir au soleil du désert. Pauvre rêveur !
— Il voulait sans doute récupérer l’avance versée au club des fossoyeurs. Il acceptait mal de voir filer toutes ces sommes qu’on prélevait sur sa solde. Salut à toi, frère patriote !
Festus était mort deux ans auparavant, vers la fin de la campagne de Vespasien en Galilée, mais cela me paraissait beaucoup plus lointain, à cause de tous les événements qui étaient venus secouer la capitale. J’avais pourtant du mal à accepter sa disparition, doutant presque que ce fut jamais arrivé. J’attendais toujours un message m’annonçant son débarquement à Ostie, demandant que je lui envoie une charrette et des outres de vin parce qu’il manquait d’argent et avait envie de régaler quelques amis rencontrés sur le bateau… J’attendrais sans doute toute ma vie. J’aimais avoir l’occasion de prononcer son nom, mais j’en avais assez pour cette fois. Cela se sentait peut-être, et puis j’avais beaucoup bu. Je donnais sans doute l’impression d’être sur le point d’être malade. Malgré tout, Frontinus remplit à nouveau nos verres. Il se pencha vers moi, enfin décidé à parler.
— Falco, quel est ton petit nom ?
— Marcus.
Comme Festus,
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