Les cochons d'argent
besoin. L’autre raison, sauf votre respect, c’est une jeune fille de 16 ans, loyale, brillante, radieuse, qui s’appelait Sosia Camillina.
Helena Justina me regardait avec une fixité qui me mit mal à l’aise. Je ne me laissai pas démonter.
Titus passa ses doigts dans sa chevelure soignée.
— Vous avez raison, mon barbier est un vaurien.
Il me contempla un instant.
— Les gens vous sous-estiment, Falco.
— Vespasien a bien connu le même sort pendant soixante ans !
— Et il reste quelques imbéciles qui persistent ! Laissez-moi vous exposer ses instructions.
Ils avaient tenté de m’embobiner. Titus espérait toujours m’écarter et étouffer gentiment les soupçons pesant sur Domitien. Il avait malgré tout préparé son petit discours en cas d’échec. Il se pencha vers moi avec un air de franchise.
— Rayez le nom de mon frère de vos recherches, retrouvez l’argent – et le meurtrier de cette jeune fille. Et surtout, identifiez celui qui a échafaudé tout cela.
J’évoquai une petite augmentation ; il prétendit que l’enquête demeurant la même, mes émoluments n’avaient pas à changer. Je n’ai jamais su m’opposer au bon sens…
— Mais il m’est impossible d’écarter Domitien…
— Vous le devez, déclara sèchement Titus.
Derrière nous, le rideau s’entrouvrit brusquement.
J’allais me retourner quand le nouvel arrivant se mit à siffloter. Stupéfait, je reconnus l’air.
C’était une chanson sur Vespasien, Titus et Bérénice. Les soldats titubants l’entonnaient en fin de nuit. On la chantait dans les bars et les bordels, avec un brin d’envie et d’approbation, mais aucun soldat n’aurait jamais osé la répéter en ces lieux.
Les paroles étaient les suivantes :
« Et le vieillard – sourit !
Et le gamin – sourit !
Alors la reine des Juifs
Pouvait pas perdre
L’avait qu’à choisir
Quand le vieillard
Et le gamin lui ont souri ! »
Une seule autre personne pouvait oser siffler ainsi sans vergogne devant le jeune César : un autre César… Vespasien présidant au banquet, je devinai aisément l’identité de ce visiteur téméraire.
Domitien, le jeune frère de Titus César, le play-boy impérial impliqué dans notre complot.
44
— Ça a dû être un sacré combat, frangin !
— La vie n’est pas toujours une affaire de combat, répondit froidement Titus.
Chez Domitien, le respectable titre de César semblait être une ironie. Doté des boucles familiales et du menton marqué des Flavien, avec un cou de taureau posé sur un corps carré et trapu, il lui manquait malgré tout quelque chose. De dix ans le cadet de Titus, il en éprouvait un vif ressentiment, alors que son frère lui témoignait une loyauté toute protectrice. Âgé de 20 ans, son visage conservait une douceur de chérubin.
— Désolé ! lança-t-il.
À première vue, je le trouvai aussi désarmant que son frère. Je compris vite que j’avais affaire à un acteur de talent.
— Vous discutiez peut-être d’affaires impériales ?
Je me souvins comment son empereur de père l’avait écarté sans ménagements de la conduite des affaires de l’Empire.
— Je te présente Didius Falco, l’informa Titus avec son autorité de général. Le parent d’un décurion de ma légion en Judée.
Je compris subitement que j’avais dû à mon frère d’être embauché. Vespasien et Titus m’avaient fait confiance parce qu’ils connaissaient Festus. Une nouvelle fois, j’éprouvais des sentiments mêlés à l’égard de mon aîné. Et là encore, je n’avais pas brillé par ma vivacité d’esprit.
Comme si la chose avait été prévue d’avance, un serviteur me présenta un sac de pièces que je parvins à soulever avec peine.
Titus me dit d’une voix mesurée :
— Didius Falco, en tant que commandant de la quinzième légion Appolinaris, je vous remets ce présent pour votre mère, une faible compensation pour le soutien qu’elle a perdu. Didius Festus lui était irremplaçable autant qu’à moi.
— Vous l’avez connu ?
En vérité cela m’importait peu, mais quand je raconterais cette mascarade à maman, elle me poserait la question.
— C’était un de mes soldats, et je m’efforçais de les connaître tous.
Domitien eut un sourire qui aurait pu passer pour généreux.
— Didius Falco, vous et moi partageons la chance d’avoir un frère dont la réputation n’est pas usurpée.
À cet instant, il
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