Les cochons d'argent
sournois.
— Et vous, Falco, pourquoi vous êtes-vous rendu chez lui ?
— J’intervenais au cas où le mari devienne grossier…
Titus sourit à mon explication puis il fixa de nouveau Helena. Elle s’était brusquement tournée vers moi. Les disques dorés de ses boucles d’oreilles tintaient encore. Je n’hésiterais pas un instant à intervenir si Titus dépassait les limites.
— Le testament de Pertinax contient un codicille, déclara-t-il. Rédigé hier, avec de nouveaux témoins. Cela mérite éclaircissement.
— Je n’en sais absolument rien, affirma Helena.
Les traits de son visage s’étaient tendus.
— Est-ce vraiment indispensable, César ? demandai-je en affectant un ton léger. (Sa mâchoire se durcit, mais je poursuivis :) Je m’excuse, mais une femme convoquée devant un tribunal a le droit qu’un ami parle en sa faveur.
— Je crois Helena Justina capable de s’exprimer elle-même.
— Pour ça… fis-je avec un sourire. Vous auriez intérêt à m’avoir comme interlocuteur !
Elle demeurait silencieuse, comme il convient à une femme lorsque des hommes parlent d’elle. Elle ne me quittait pas des yeux. J’aimais cela, mais son altesse un peu moins.
— Cette jeune femme n’est pas au tribunal, remarqua doucement Titus. Falco, je croyais que vous travailliez pour nous ! On ne vous paye pas assez ?
Pas très romantique, de la part d’un homme qu’avait séduit la plus belle femme du monde…
— Pour être franc, vos indemnités sont un peu chiches… dis-je sans me démonter.
Il sourit vaguement. Personne ne l’ignorait, Vespasien était près de ses sous.
— Je crains que le nouvel Empereur ne fasse pas mentir sa réputation. Il doit trouver quatre cents millions de sesterces pour rétablir une certaine prospérité dans l’Empire, et vous ne figurez pas parmi les priorités. Une fois qu’on aura restauré le temple de Jupiter, asséché le lac de la Domus Aurea de Néron… Il sera heureux d’apprendre qu’Helena Justina ne vous laisse pas mourir de faim ! Comme vous l’accompagnez devant cette cour de justice, sachez que son ex-mari lui laisse un legs assez surprenant.
— Connaissant ce rat, il ne fallait pas s’attendre à autre chose… De quoi s’agit-il ?
Titus mordilla son pouce. Visiblement il sortait de manucure.
— Le contenu d’un entrepôt à poivre situé passage de la Louve.
43
Les idées se bousculaient dans ma tête, mais je parvins à masquer mon excitation.
— Vous y comprenez quelque chose, Excellence ?
— J’ai fait passer l’endroit au peigne fin pour tenter d’y voir plus clair.
— Qu’est-ce qu’on a trouvé ?
— Rien pour nous, mais pour cette jeune femme, un somptueux assortiment d’épices et suffisamment de parfum pour se baigner à la Cléopâtre le restant de ses jours. (Il se tourna vers elle, le ton plus clément qu’auparavant.) Helena Justina, vous devez être éprouvée. Pertinax n’avait aucune famille si l’on excepte son père adoptif. Il vous a sans doute conservé son affection après votre divorce.
Elle était clairement marquée. Je n’esquissai aucun mouvement. J’ignorais si Pertinax avait gardé quelque estime pour elle, et elle seule savait à quel point cette idée lui répugnait ou non.
Titus continua à la cuisiner, ne laissant aucun répit à son esprit paniqué.
— Les biens d’un traître lui sont confisqués. Mais en raison de votre collaboration, mon père souhaite maintenir votre legs. En temps voulu, vous pourrez récupérer ce don…
Elle fronça les sourcils. J’aurais donné cher pour la voir régler son compte à Titus, histoire de ne pas toujours être le seul à prendre des coups…
Mais je lui conseillai sagement :
— Helena Justina, vous devriez raconter l’épisode de la réunion chez votre mari, ce que vous m’avez confié à Massilia.
Je me raidis en prononçant le nom de Massilia, préférant ne pas trop penser à ma bévue. Helena reçut mon conseil avec sa froideur coutumière.
Elle répéta l’histoire à Titus, toujours aussi laconique. Il demanda des noms ; elle énonça la liste. Je m’en rappelais quelques-uns, mais ils ne me disaient toujours rien. Aufidius Crispus, Curtius Gordianus, Longinus (frère de Gordianus), Faustus Ferentinus, Cornelius Gracilis…
Titus se précipita sur une tablette et prit les noms rapidement en note avec son stylet, jugeant inutile – voire dangereux – de recourir à un
Weitere Kostenlose Bücher