Les cochons d'argent
à l’aide d’un coude tandis que je rabattais la toge sur nous deux.
— À mon avis, les dieux pensaient aux moyens de réchauffer une femme quand ils ont inventé…
En atterrissant dans mon auguste cocon, la fille du sénateur s’était retrouvée la tête juste en dessous de mon menton. Elle avait trop froid pour résister. Elle frémit une fois, puis demeura raide comme un tuteur à tomates. Ayant compris quels efforts il lui faudrait pour se dégager, elle choisit la solution diplomatique et s’endormit. Elle n’aimait vraiment pas faire des histoires…
Je demeurai éveillé. Elle entendit sans doute les grincements de mon cerveau tandis que je passais en revue les péripéties de notre soirée. J’avais trouvé une position idéale pour réfléchir : la joue posée contre la tête d’une femme paisiblement endormie. Je ne l’avais jamais remarqué auparavant ; il faut dire que les danseuses libyennes ont la bougeotte…
Pour être franc, je commençais à trouver les danseuses épuisantes. En premier lieu, une danseuse torse nu épouvantée aurait représenté un sérieux handicap dans une chasse à l’homme. Il y a un temps pour les danseuses. Elles vous donnent beaucoup, mais vous en prennent avec autant d’avidité – comme mon banquier pourrait vous le confirmer. Mon commerce avec les danseuses m’avait coûté cher, à commencer par les déconvenues de la soirée écoulée. Pour de multiples raisons, j’en avais mon compte.
Une fois qu’Helena Justina fut endormie, je me détendis.
Elle ne pesait pas beaucoup, mais je ne pouvais pas oublier sa présence. Elle tenait parfaitement au creux de mon bras, et en tournant légèrement la tête, je pouvais humer les traces de parfum persistant dans sa chevelure. C’étaient de beaux cheveux, propres et brillants, qui résistaient au fer à friser et ne tardaient pas à retomber en de belles mèches, comme les aiment les servantes des femmes les plus élégantes de la haute société. Elle portait à nouveau son parfum de Malabar. Son ordure de mari avait dû lui offrir un sacré flacon – à moins que cette jeune femme étonnante n’ait sauvé quelques gouttes à mon intention… on peut toujours rêver !
J’étais trop épuisé pour réfléchir avec efficacité, même si je me sentais bien. J’aurais bien pu m’endormir en humant ses cheveux. Je soupirai sans doute, tel l’homme qui n’a toujours pas résolu son problème après s’être creusé la tête un bon bout de temps. J’arrêtai de me triturer le cerveau pour goûter le bonheur de me trouver là dans la paille, Helena Justina dans mes bras… Et comme ma position me le permettait, avec un grand naturel je déposai un baiser sur son front avant de m’endormir.
Elle bougea légèrement.
Je me dis qu’elle avait dû être éveillée tout du long.
Votre pauvre Didius ne savait plus où se mettre.
— Je suis désolé, je croyais que vous étiez endormie.
Je parlais à voix basse, même si le cheval était visiblement réveillé lui aussi, à en juger par le bruit incessant qu’il faisait avec ses sabots. À ce compte-là, la moitié de Rome avait dû m’espionner ! J’entendis Helena murmurer :
— Le bisou sur le front, vous le mettez sur la note de frais ?
Je retournai à mes pitreries.
— Ma bouche ne pouvait pas aller plus loin… Mais naturellement, une fois que j’ai coincé une dame dans une écurie, les bisous sont à discrétion…
La fille du sénateur tourna la tête, prenant appui sur son coude, à quelques centimètres de mon cœur qui s’affolait. Sans la lâcher, je me recroquevillai dans la paille en faisant de mon mieux pour ignorer son corps blotti contre le mien. Elle dut sentir mon torse se crisper. Elle avait l’air différente, les cheveux dénoués ; peut-être l’était-elle… Je n’aurais su dire si j’avais affaire à une autre femme, ou si je venais juste de rencontrer celle qu’elle avait toujours été. En tout cas, j’aimais beaucoup la personne qu’elle était ce soir-là.
— Dites-moi Falco, cela vous arrive souvent ?
— Trop peu à mon goût.
Je la regardai, m’attendant à des mots durs. À ma grande surprise, je lus une certaine douceur dans son expression. Ne sachant que faire, je souris. Mon sourire allait s’évanouir quand Helena Justina se pencha pour m’embrasser.
J’avais une main dans ses cheveux et, si elle avait fait mine de s’éloigner, je l’aurais retenue. Elle n’en
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