Les compagnons de la branche rouge
Loeg,
fils de Riangabar, mon cocher, t’accompagne et aille reconnaître le pays d’où
tu viens. Il me dira ensuite de quoi il retourne, et je te donnerai alors ma
réponse. – Qu’il en soit ainsi », dit la femme.
Les Ulates ramenèrent alors Couhoulinn à Émain Macha, dans
la maison où il avait passé l’année, pour qu’il achevât de s’y rétablir. Quant
à Li Ban et Loeg, ils partirent ensemble pour le pays où les attendaient Fand
et Labraid. Or, comme ils arrivaient près d’un lac, Li Ban prit Loeg par l’épaule
et guida sa marche.
« Que fais-tu, ô femme ? s’étonna-t-il. – Tu ne
reviendrais pas vivant du pays où nous allons si je ne te tenais ainsi, répondit-elle,
mais sois sans crainte, te voici sous ma protection. – Dans mon pays, dit Loeg,
il n’est pas coutume de confier la protection d’un homme à une femme. – Nos
coutumes diffèrent des vôtres, Loeg. Ah…, soupira-t-elle ensuite, que n’est-ce
Couhoulinn qui m’accompagne et dont je tienne ainsi l’épaule ! – Je ne le
déplore pas moins que toi, grommela Loeg. Moi aussi, je préférerais qu’il soit
à ma place ! »
Tout en devisant, elle le conduisit néanmoins jusqu’au bord
du lac et ils y découvrirent une barque de bronze à demi échouée. Ils y
montèrent tous deux, et la barque se mit à dériver sur les eaux jusqu’à une île
où ils accostèrent, non loin d’une maison sur le seuil de laquelle se tenait un
homme, et Li Ban lui demanda :
« Où se trouve donc Labraid à la main rapide sur son
épée, celui qui conduit ses troupes à la victoire, celui dont les javelots sont
rougis par le sang de ses ennemis ? – Il est près d’ici, Labraid, l’impétueux
guerrier, répondit l’homme. Il se prépare à la bataille, en compagnie de ses
guerriers les plus fidèles. Mais en ces lieux se trouve également Fand la Belle,
celle que le sort destine au plus noble des hommes d’Irlande. »
Pénétrant alors dans la maison, ils y virent trois cinquantaines
de lits qu’occupaient trois cinquantaines de femmes qui, se levant aussitôt, souhaitèrent
la bienvenue à Loeg.
« Nous nous réjouissons de ta venue, ô Loeg, dirent-elles,
en l’honneur de celle qui t’a guidé dans ton voyage, en l’honneur de celui qui
t’a envoyé vers nous, et aussi pour t’honorer toi-même, fils de Riangabar. – Que
comptes-tu faire maintenant, ô Loeg ? demanda Li Ban. Préfères-tu parler
tout de suite à Labraid, ou bien souhaites-tu d’abord t’entretenir avec Fand ?
– J’irai parler avec Fand dès que je saurai où elle se trouve. – Ce n’est pas
difficile : elle occupe une chambre à part, juste à côté de cette salle. »
Ils se rendirent donc dans la pièce contiguë, où Fand
commença par leur souhaiter la bienvenue dans les mêmes termes que ses trois
cinquantaines de compagnes de la grande salle. Mais, de la fille d’Aed Abrat, on
disait qu’elle avait « le feu à l’œil », parce que la prunelle est le
feu de l’œil, et son nom signifiait du reste « larme » [166] .
Et, de fait, la pureté et la beauté de son regard lui avaient à juste titre
valu son nom, car aucune femme au monde n’approchait d’elle à cet égard.
Or, ils étaient à converser depuis un moment quand ils
entendirent le fracas du char de Labraid qui approchait de l’île [167] après avoir rassemblé ses guerriers pour le combat et dressé avec eux un plan
de bataille.
« Labraid est de méchante humeur, aujourd’hui, dit Li
Ban, cela s’entend au bruit que fait son char. Allons lui parler. »
Ils sortirent de la maison et s’avancèrent sur le rivage où
venait d’aborder Labraid. Il descendait de son char et paraissait en colère. Li
Ban lui souhaita la bienvenue mais, comme il ne répondait pas, elle insista :
« Je te salue, Labraid à la main rapide sur son épée !
dit-elle. Nous savons que tu es le plus généreux de tous les rois, le plus
brave de tous les guerriers, celui qui détruit les ennemis de la paix, celui
qui élève les faibles et abaisse les puissants. Je te salue, ô Labraid ! –
Ce que tu dis n’est pas convenable, grommela Labraid. Il n’y a aucune arrogance,
aucun orgueil en moi. Je ne suis pas le plus brave de tous les guerriers ni le
plus généreux de tous les rois. Je sais que je m’apprête à un combat dont l’issue
est douteuse, car il nous manque un guerrier à l’âme bien trempée pour nous
conduire à la victoire. – Eh bien, Labraid,
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