Les compagnons de la branche rouge
Lugaid le Blond se leva, s’inclina, et
Couhoulinn lui prodigua les conseils que voici :
« Mon fils, ne t’égare pas dans des querelles violentes
et de peu d’intérêt, car elles sont vulgaires et ne mènent à rien. Ne sois pas
orgueilleux, rude et hautain envers ceux qui te sollicitent, car tu pourrais t’en
repentir, le jour où tu aurais besoin de ceux que tu aurais humiliés. Ne sois
pas craintif, car le propre d’un roi est d’être toujours le modèle du courage. Ne
sois pas âpre au gain, car la richesse enivre celui qui la prend au sérieux, et
elle finit par le mener à sa perte. Ne t’égare pas sur les frontières, car les
étrangers n’aiment pas qu’on vienne les surveiller de trop près. Ne te laisse
pas subjuguer par des hommes qui passent leur temps à se vanter de prouesses qu’ils
n’ont pas accomplies. Ne te laisse pas aller à juger sans savoir la cause d’une
querelle, car celui qui émet des sentences injustes s’expose à en être à son
tour victime. Ne néglige pas l’avis des chroniqueurs qui ont gardé le souvenir
des hauts faits d’autrefois, car ils savent souvent ce que nous ignorons.
« Ô mon fils, prends garde de jamais te lancer dans des
discussions sans objet, car tu y perdrais, outre ton temps, ton autorité sur
les autres. Lorsque tu parles, veille à respecter l’avis de ceux qui te font
face, car ce serait faire le bouffon que de prononcer des paroles dépourvues de
signification. Ne sois pas mal disposé envers ceux qui viennent te déranger
quand tu dors, car ils ont sûrement de bonnes raisons pour le faire. Ne renvoie
personne sans lui accorder la requête qu’il t’a présentée, car un roi n’est roi
que s’il accorde aux autres ce qui est en son pouvoir. Observe les
prescriptions des anciens, car ils savent ce qu’est la vie et, bien souvent, leur
sagesse dépassera ta propre force. Observe les lois de nos ancêtres, car tu
dois en être le gardien fidèle. N’aie pas le cœur froid envers tes amis, car
tes amis te seront toujours précieux, mais sois dur et impitoyable envers tes
ennemis, car ceux-ci seront toujours à l’affût de tes faiblesses.
« Oui, mon fils, garde-toi d’être jamais en colère
lorsque tu te présentes devant une assemblée. N’injurie pas ceux qui ne sont
pas de ton avis, car la vérité n’est pas chose facile à discerner. Ne garde
rien de plus que ce qui te revient de droit dans un butin, ou tu commettrais
alors une grande injustice envers ceux qui t’ont fidèlement soutenu. Ne sois
pas paresseux, car le paresseux passe toujours pour être un faible. Ne protège
pas ceux qui commettent des injustices, ou ton royaume ne sera plus qu’une
terre livrée au pillage. Voilà ce que j’avais à te dire, mon fils, Lugaid le
Blond. Maintenant, tu peux suivre les messagers et t’en aller à Tara, pour le
plus grand bien des peuples de cette île. »
Ainsi parla Couhoulinn, assis sur son lit, à Lugaid le Blond,
en présence des Ulates et du roi Conor.
« Ô mon père Couhoulinn, répondit Lugaid, les préceptes
que tu m’as demandé de suivre sont bons et honnêtes. Il sera fait en sorte que
chacun les connaisse, et je jure qu’ils ne seront négligés en rien tant que je
vivrai. »
Et, sur ce, il prit congé de son père adoptif Couhoulinn, du
roi Conor et de tous les Ulates qui se trouvaient rassemblés à Émain Macha. Il
suivit les messagers jusqu’à Tara, et là il fut proclamé roi suprême d’Irlande
par les quatre provinces. Et il dormit cette nuit-là à Tara [173] .
Ensuite, chacun s’en retourna chez soi.
Or, après le départ de Lugaid, Couhoulinn jeta un regard
circulaire et finit par s’étonner :
« Où est donc Émer ? demanda-t-il. – À Dun Dealgan,
répondit Loegairé. Elle est partie furieuse à cause de Fand que l’on dit
amoureuse de toi. Ô Couhoulinn, ton attitude est décevante. C’est par grande
paresse que tu restes couché sur ce lit depuis un an. Est-il digne d’un grand
guerrier de se reposer dans le sommeil de la maladie ? Cela prouve au
moins que les démons qui hantent la plaine de feu de Trogaige [174] ont tout mis en œuvre pour te bafouer et te ridiculiser aux yeux de tous les
peuples d’Irlande ! Ils t’ont réduit en esclavage, ils t’ont plongé dans
la peine et la souffrance, ils t’ont soumis à l’influence des femmes, et voilà
comment tu as perdu tes forces. Réveille-toi, ô Couhoulinn, et brise les liens
dont ces démons t’ont enserré
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