Les compagnons de la branche rouge
Je
suis venu ici, sans craindre que l’on m’agresse, dans le seul but de parler à
cet homme. – Tu n’as rien à redouter de nous, dit Conall. Sois donc le bienvenu. »
Alors l’inconnu se leva et, debout devant le lit, chanta les
stances que voici à l’intention de Couhoulinn :
Ô Couhoulinn ! de ta maladie,
la durée ne serait guère longue
si les filles d’Aed Abrat
étaient avec toi pour te guérir…
Li Ban [160] ,
dans la plaine de Cruach [161] ,
elle qui est à la droite de Labraid le Rapide [162] ,
dit que Fond la Belle [163] serait amoureuse
et voudrait s’étendre aux côtés de Couhoulinn…
En vérité, précieux serait le jour
où Couhoulinn viendrait dans mon pays :
il aurait de l’or et de l’argent,
et beaucoup de vin à boire…
Si tu croyais mes paroles,
Couhoulinn, fils de Sualtam,
peut-être obtiendrais-tu sans difficulté
ce que tu as vu pendant ton sommeil.
Dans la plaine de Murthemné, là-bas, au sud,
va passer la nuit de Samain :
Li Ban viendra de ma part, sans faute,
ô Couhoulinn, pour guérir ta maladie…
Les Ulates avaient écouté en silence, mais les paroles de l’inconnu
mirent le comble à leur stupeur :
« Qui es-tu, étranger ? demandèrent-ils, une fois
remis. – Je suis Angus, fils d’Aed Abrat », répondit l’homme.
Et, sur ce, il s’éloigna et disparut sans qu’aucun des
Ulates sût ni comment il était venu ni comment il était parti.
Mais, alors, Couhoulinn se souleva, s’assit, regarda ceux
qui l’entouraient et leur demanda de leurs nouvelles. Ils furent tout joyeux de
l’entendre parler à nouveau.
« Voilà qui est fort à propos, ô Couhoulinn ! s’écrièrent-ils.
Conte-nous donc ce qui t’est arrivé… – Je me souviens, dit-il. C’était l’année
dernière, le soir de Samain . Je m’étais endormi au pied
d’un pilier et j’ai rêvé pendant mon sommeil, rêvé que des femmes venaient me
frapper. C’est de cet instant-là que date ma faiblesse. » Alors, il leur
décrivit tout ce qu’il avait vu, entendu et subi et, une fois terminé son récit,
il se tourna vers le roi.
« Ô mon père Conor, dit-il, que te semble de tout cela ?
As-tu une idée de ce que je dois faire ? – M’est avis, répondit le roi, que
tu dois retourner, le soir de Samain , t’adosser au même
pilier que l’année dernière. C’est sûrement là que tu sauras la signification
de ton aventure. »
Le soir de Samain , on transporta
donc Couhoulinn au pied du pilier de pierre et, à peine assoupi, il vit venir à
lui la femme au manteau vert.
« Tu as bien fait de reprendre la place que tu occupais
l’année dernière, lui dit-elle en souriant. – Mais, répondit Couhoulinn, je n’ai
pas l’impression que la femme au manteau pourpre et toi-même fussiez venues
pour mon bien. Depuis que je vous ai vues, je suis brisé, faible et malade. – Tu
te trompes, ô Beau Chien. Nous sommes venues non pour te nuire mais pour
obtenir ton amitié. Et si, aujourd’hui, je suis seule, c’est que je dois t’entretenir
de la part de Fand, fille d’Aed Abrat. Sache qu’elle est l’épouse de Mananann, fils
de Lîr, mais que, délaissée par lui, elle a jeté les yeux sur toi, et que son
cœur s’est empli d’amour. Voilà ce qu’elle m’a chargée de te dire, ô Couhoulinn,
fils de Sualtam. Il me faut en outre te délivrer un autre message, celui-ci de
la part de mon mari, Labraid à la main rapide sur son épée. Il te fera obtenir la
femme, c’est-à-dire Fand, si tu acceptes de venir chez lui combattre en un seul
jour ses trois ennemis, Senach Siaborth, Éochaid Iul et Éogan Imbir. Ils ont
perpétré tant de forfaits et désolent si bien le pays tout entier que Labraid a
décidé de l’en débarrasser une fois pour toutes afin que ses sujets vivent
enfin en paix [164] .
– Il ne me réussirait guère, soupira Couhoulinn, de combattre quiconque aujourd’hui,
tant je suis faible et incapable de bouger… – Rassure-toi, reprit la femme au
manteau vert, ta faiblesse ne durera pas, tu retrouveras bientôt toute ton
énergie. Je t’en prie, Beau Chien, suis-moi dans mon pays. Tu dois le faire
pour Labraid à la main rapide sur son épée, car il est le roi le plus juste et
le plus généreux qui soit en notre monde. – Et où se trouve le pays dont tu me
parles ? – Dans la plaine de Mag Mell [165] . – Mieux me vaudrait un
autre endroit, repartit Couhoulinn, je me sens décidément trop faible. Que
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