Les compagnons de la branche rouge
les chevilles. Reviens parmi les guerriers et les
champions. Ainsi rétabliras-tu tes forces et ta valeur. Montre-nous ce que tu
es capable d’accomplir ! »
Mais Couhoulinn n’écoutait pas Loegairé. Il appela un de ses
serviteurs et lui dit :
« Va-t’en à l’endroit où se trouve Émer, et dis-lui que
ce sont les femmes du Sidh qui, venues à moi, m’ont
fait du mal. Dis-lui encore que je vais beaucoup mieux, et demande-lui de venir
me rendre visite et m’encourager de sa présence. »
Le serviteur partit aussitôt pour Dun Dealgan et, se
présentant devant Émer, lui donna des nouvelles de Couhoulinn avant de lui
transmettre, en propres termes, le vœu de son mari. Or, elle se mit en colère
et menaça le messager.
« Tu fais là un vilain métier, mon garçon, s’écria-t-elle.
Si Couhoulinn est en rapport avec les femmes du Sidh , que
ne leur demande-t-il maintenant de le guérir ? Et les Ulates, ne
peuvent-ils rien faire de mieux que de le veiller dans la maison d’Émain Macha ?
Malheur à eux, puisqu’ils se montrent incapables d’apporter le moindre secours
au fils de Dechtiré ! Si Fergus, fils de Roeg, se trouvait encore parmi
eux, il aurait trouvé le moyen, lui, de rendre la santé à Couhoulinn…, mais la félonie
des Ulates l’a contraint à s’expatrier ! L’ingratitude et le parjure sont
donc leur lot quotidien ? Oh !… si Loegairé avait couru le moindre
danger, nul doute, Couhoulinn se serait précipité pour le sauver, eût-il dû
pour ce faire parcourir toutes les prairies d’Irlande. Si Conall Cernach était
couvert de blessures, je sais bien, moi, que le Beau Chien chercherait partout
des herbes pour le guérir et lui rendre ses forces. S’il était arrivé à
Celtchar, fils d’Uthecar, pourtant si fertile en ruses et en expédients, de
tomber dans un sommeil léthargique, certes, Couhoulinn, mon cher Sétanta, aurait
parcouru toutes les plaines et toutes les vallées de l’Irlande en quête d’un
médecin ou d’un magicien susceptible de le réveiller. Hélas ! je ne le
vois que trop, les Ulates sont des ingrats. Ils ont oublié jusqu’aux prouesses
accomplies pour eux par le meilleur des guerriers de ce temps, le protecteur du
royaume, le plus fidèle gardien de leurs biens et de leurs troupeaux ! – Tu
es injuste ! protesta le serviteur, voilà une année entière qu’ils
veillent à son chevet, faute de savoir quelle maladie l’a frappé. Ne te
trouvais-tu pas toi-même à ses côtés ? Et pourtant, tu n’as rien pu faire
non plus pour lui rendre force et vigueur. – C’est que nous ignorions son mal !
Aujourd’hui, nous le savons : il est atteint de langueur parce qu’une
femme a jeté sur lui un charme d’amour pour lui ôter sa vigueur avec son
courage. – Eh bien ! Émer, fille de Forgall, n’est-ce pas à toi que
revient de lever ce charme ? Couhoulinn lui-même te le demande en t’appelant !
– Tu as raison, admit Émer, et je ne tolérerai pas qu’une autre détruise l’homme
à qui j’ai donné mon amour ! »
Alors, elle expédia ses préparatifs, se fit conduire à Émain
Macha. Sitôt arrivée, elle pénétra dans la maison où reposait Couhoulinn et s’assit
près de l’oreiller.
« N’as-tu pas honte, ô noble fils de Dechtiré, murmura-t-elle,
de rester si longtemps couché à cause d’une femme que tu n’as jamais vue… ? »
Voyant que Couhoulinn demeurait sans répondre ni bouger, elle
se releva brusquement et se mit à chanter ces stances :
Lève-toi, ô guerrier ulate,
réveille-toi de ton sommeil, sain et heureux !
Regarde le roi d’Émain qui se lève très tôt !
C’est indigne pour toi de rester endormi…
Regarde les épaules de Conor :
elles supportent le poids du royaume.
Et toi, que supportent tes épaules,
sinon la lourdeur du sommeil ?
Regarde les chars du roi roulant dans les vallées,
regarde la beauté de son échiquier,
regarde ses coupes emplies d’hydromel,
regarde les jeunes gens qu’il élève dans son palais.
Le sommeil lourd est un défaut qui n’est pas bon,
c’est une faiblesse sans pareille.
Lève-toi, ô guerrier ulate,
réveille-toi de ta torpeur, sain et heureux… [175]
Or, dès qu’elle eut achevé, Couhoulinn se redressa, sauta à
bas du lit et, comme il se massait le visage, à l’instar d’un homme qui se
réveille d’un long sommeil, il se sentit subitement aussi vigoureux que s’il n’avait
jamais été malade.
« Ô
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