Les compagnons de la branche rouge
bien qu’il finit par lui séparer la tête du corps.
À ce spectacle, les Ulates refluèrent en masse et sommèrent
leur roi, Fergus, de fermer leur retraite. À quoi il répondit que, pour les
avoir menés vers une bataille incertaine, il n’assumerait que mieux ses
responsabilités, les protégerait autant qu’il lui serait possible afin de leur
permettre de regagner leurs demeures et leurs forteresses. Et Fergus, fils de Roeg,
tint parole. Il ferma si parfaitement leur retraite qu’ils n’éprouvèrent aucune
perte. Car, non content d’être un redoutable guerrier, il savait comment on
peut circonvenir les ennemis de son peuple.
Éochaid Feidlech ne tarda guère à s’apercevoir que les
anciens partisans de son rival refluaient en désordre vers le nord. D’une voix
tonnante, il ordonna qu’on les poursuivît sans relâche. Aussitôt, son armée
dressa ses enseignes et celles des divers rois de provinces, ses alliés, puis s’élança
aux trousses des Ulates. Durant les nombreux combats qui s’ensuivirent, succombèrent
maints héros, tant ulates qu’irlandais, dont se voient encore, dans la plaine
de Murthemné, les tertres dressés à leur gloire. Cependant, dès qu’ils eurent
atteint les frontières d’Ulster, les Irlandais s’arrêtèrent, Éochaid Feidlech
leur ayant interdit de pousser plus avant. Il voulait en effet conserver l’estime
et l’admiration des Ulates en qui il voyait les meilleurs guerriers d’Irlande, et
les plus précieux pour asseoir son autorité sur l’île entière. Quant à Fergus, fils
de Roeg, cette expédition lui acquit l’honneur d’avoir sauvegardé les terres d’Ulster
et d’avoir épargné à son peuple l’invasion des étrangers [43] .
Cependant, Conor grandissait auprès de sa mère et de ses
tuteurs, et il avait sept ans quand il mérita la considération des Ulates. En
effet, Ness, qui s’était séparée de Cavad depuis bien longtemps, rencontra un
jour Fergus, fils de Roeg, qui, au premier regard, s’embrasa de désir pour elle.
Il faut dire qu’il était un homme hors du commun. Jamais aucune part de nourriture
ne parvenait à le satisfaire. Sa taille était imposante, et l’on dit volontiers
qu’aucun autre guerrier ulate n’atteignait au septième de sa grandeur. On
prétend que sept pieds d’écart séparaient ses yeux de ses lèvres, et sept
poings ses yeux. Sept poings, dit-on encore, tenaient dans son nez et sept
entre ses lèvres. Il lui fallait également la pleine mesure d’un boisseau pour
lui mouiller la tête quand on le lavait dans une cuve. Son pénis avait la
grosseur de sept poings, et ses testicules la contenance d’un sac empli de blé.
D’ailleurs, il fallait sept femmes pour le satisfaire, à moins que n’en vînt
une exceptionnelle qui pût contenter entièrement ses désirs.
Grand mangeur et grand buveur, il fallait sept cochons pour
le nourrir et sept cuves de bière pour étancher sa soif ; mais ainsi
avait-il la force de sept cents hommes. Et voilà comment, à lui seul, il avait
arrêté l’élan des hommes d’Irlande qui, lancés à la poursuite des Ulates, n’avaient
pas osé se risquer à l’intérieur des terres que gouvernait Fergus. Et tous les
Ulates le savaient : aussi avaient-ils l’habitude de lui servir sept fois
plus de nourriture et sept fois plus de boisson qu’à un autre.
Or donc, ayant rencontré Ness, mère de Conor, Fergus se mit
à la désirer violemment. Il le lui dit et la pria de consentir à l’épouser [44] .
À quoi elle répliqua qu’elle ne le voulait pas, à moins d’obtenir une
récompense.
« Quelle récompense exiges-tu ? demanda Fergus. – Un
douaire, répondit-elle. Si tu veux m’obtenir, il te faut consentir à accorder
la royauté sur les Ulates pendant un an à mon fils Conor, afin qu’on l’appelle
roi, fils de roi. »
Fergus alla demander conseil à ses druides et à ses
guerriers.
« Accorde-lui ce qu’elle désire, répondirent-ils. Ainsi
la royauté sera au nom de Conor, fils de Ness, mais c’est toi, Fergus, qui
auras la puissance sur nous tous. »
Ainsi fut fait. Fergus abandonna son titre de roi au profit
de Conor, fils de Ness, et passa l’année auprès d’elle. Mais celle-ci mit à
profit tout ce temps pour puiser dans les trésors du roi et prodiguer des dons
à tous les Ulates au nom de son fils. De sorte que tous les Ulates se mirent à
vanter les mérites et la générosité de Conor, fils de Ness. Et c’était
précisément
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