Les compagnons de la branche rouge
entendit la remarque et se demanda où Bricriu
voulait en venir, mais chacun garda le silence, car on savait qu’il ne manquait
jamais une occasion de susciter des querelles intestines dans les assemblées. Quant
à Conor, il heurta de sa verge d’argent la colonne de bronze qui s’élevait au
milieu de la salle avec tant d’énergie qu’on entendit le bruit résonner dans
toute la forteresse.
« Quel malin plaisir prends-tu donc, s’écria-t-il, à
provoquer ces braves Ulates, le jour où tu les invites ? – Mon cher et
vénéré Conor, répondit Bricriu, je ne manque de rien, chacun le sait ici. J’ai
tout mon content de boire et de manger, et je puis offrir à mes hôtes de quoi
leur complaire et les rassasier. Cependant, il serait à mes yeux injuste que
les Ulates jouissent de mon festin sans avoir accompli quelque action d’éclat
pour le mériter. »
À ces mots, douze champions se levèrent, dont les moins
distingués n’étaient pas Fergus, fils de Roeg, Conall Cernach, fils d’Amorgen, Celtchar,
fils d’Uthecar, et Couhoulinn, fils de Sualtam, qui, se précipitant au-dehors
comme un seul homme, saisirent leurs armes et quittèrent la forteresse de
Bricriu pour aller chercher mort d’homme dans chacune des provinces d’Irlande, non
sans jurer qu’ils ne reviendraient pas qu’ils n’eussent au moins un exploit à
raconter.
Escorté de cinquante compagnons, Couhoulinn se rendit dans
la province de Connaught, et, une fois parvenu sur les bords du lac Melvin, divisa
sa troupe en deux groupes : l’une qui s’en alla le long de la rivière
Drowes vers l’est, l’autre qui la suivit vers l’ouest. Parmi les gens demeurés
avec Couhoulinn, se trouvaient Lugaid aux Ceintures rouges et Loeg, fils de
Riangabar, son cocher. Et, de conserve, ils avancèrent dans la région connue de
nos jours sous le nom de comté de Mayo et parvinrent au gué qui se trouve en
face de Ferthan, au nord de Corra-sur-Achad, dans ce qui est maintenant le
comté de Roscommon. Ce territoire appartenait aux fils de Mané, lui-même fils
de Cêt, fils de Maga, l’un des ennemis les plus acharnés des Ulates.
Or, Mané se trouvait précisément en cet endroit, entouré de
cent compagnons qui s’ébattaient autour de l’eau noire du gué de Ferthan. Des
leurs était également Finnchoem, fille d’Éochaid Rond, au milieu de ses
suivantes ; et Loeg et Lugaid tombèrent sur elles alors qu’elles
essayaient d’escalader le tertre de Duma Tetach.
« Accordez-moi grâce ! s’écria Finnchoem en les
apercevant. – Pourquoi devrions-nous te faire grâce ? demanda Lugaid. – Parce
que je suis destinée à un homme que je recherche, répondit-elle. – Et qui donc
recherches-tu ? demanda Loeg. – Couhoulinn, fils de Sualtam, répondit-elle.
Il m’a suffi d’entendre conter ses grandes prouesses pour l’aimer. – Cela te
vaudra son estime et sa bienveillance. Sache, ô jeune fille, qu’il se trouve
non loin d’ici, en direction du couchant. »
Pendant ce temps, Couhoulinn s’était arrêté devant les
jeunes gens qui accompagnaient Mané et les avait pris sous sa protection. Après
cela, il fit un saut de prouesse et, repartant vers l’est, alla rejoindre Loeg
et Lugaid. C’est alors que la jeune fille l’aperçut. Elle se leva au-devant de
lui, lui jeta ses deux bras autour du cou et lui donna un baiser.
« Et maintenant ? Que faisons-nous ? dirent
ensemble Lugaid et Loeg. – Maintenant ? répondit Couhoulinn, nous avons
suffisamment accompli de hauts faits ! Il nous faut protéger trois cents
jeunes gens et ramener cette fille à Émain Macha. »
Ils prirent donc le chemin du nord, emmenant Finnchoem. La
nuit était venue, et il faisait très sombre. Comme ils atteignaient le bois de
Manach, ils aperçurent la lumière de trois feux qui brillaient devant eux, à
travers les arbres, et qu’entouraient chacun neuf guerriers. Couhoulinn se
précipita sur eux et en tua trois de chaque foyer. Les autres s’enfuirent dans
l’obscurité et disparurent sans demander leur reste. De là, Couhoulinn et ses
compagnons, après avoir franchi le gué de Mog, se dirigèrent vers la forteresse
de Cruachan [114] en traversant la plaine d’Aé. Et là, ils poussèrent de grands cris de victoire.
En entendant leurs clameurs, le guetteur de Cruachan monta
sur les remparts pour savoir qui les avait poussées ; puis il alla trouver
Maeve, et lui décrivit la stature, l’aspect et la manière des gens
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