Les compagnons de la branche rouge
seraient émerveillés que j’aie pu les prendre
vivants. – Soit, acquiescèrent les jeunes gens. Nous te suivrons de loin et
nous réjouirons si tu réussis. »
Sur ce, ils se séparèrent, et Couhoulinn suivit le rivage. Or,
comme il scrutait le ciel en quête d’oiseaux, son attention fut attirée par une
grande assemblée d’hommes et de femmes qui se tenait au bord de l’eau. Il s’approcha
et les vit assis à même le sable dans une attitude d’extrême tristesse. Au
milieu d’eux se tenait une jeune fille charmante, aimable et très belle, la
plus distinguée de toutes les femmes du monde. Et, tout autour d’elle, les gens
pleuraient et se lamentaient. Couhoulinn les salua.
« Quel chagrin vous afflige donc ? demanda-t-il. –
Hélas ! répondit la jeune fille, voici le jour où les Fomoré [110] viennent chercher, tous les sept ans, leur tribut dans ce royaume : l’un
des enfants du roi Aed le Rouge. Et, cette fois-ci, je suis la victime qu’a
désignée le sort, moi, la fille préférée du roi. Voilà pourquoi tous ces gens
se lamentent. Les Fomoré ne tarderont plus guère à venir me prendre… – Quels
sont ceux qui viennent réclamer le tribut ? Sont-ils nombreux ? – Ils
sont trois, les trois fils d’Alatrom des Fomoré. Leurs noms sont Dub, Mell et
Dubros. Et ces êtres horribles et sanguinaires n’hésiteraient pas à massacrer
tous ceux qui m’accompagnent si je n’acceptais de les suivre. »
Ils n’avaient en effet guère eu le temps de converser lorsqu’ils
virent un bateau à l’horizon qui s’approchait à toute vitesse. Il aborda
bientôt, non loin de l’endroit où ils se tenaient et, sur-le-champ, tous ceux
qui escortaient la jeune fille prirent la fuite, sans que personne, excepté
Couhoulinn, demeurât près d’elle. À la poupe du bateau se dressait un guerrier
farouche, hostile, diabolique, sombre, et qui riait à gorge si cruellement
déployée que l’on voyait, tout au fond, ses noires entrailles.
« Pourquoi ce monstre manifeste-t-il tant d’allégresse ?
questionna Couhoulinn. – C’est ta présence, répondit la fille, qui le fait
jubiler. Il voit en toi un excellent complément au tribut qu’il vient réclamer.
– Par ma conscience ! s’écria Couhoulinn, quelle impudence ! Il serait
moins faraud s’il se doutait de ce qui l’attend. »
Le géant quitta le navire, sauta sur le rivage et foula le
sable dans leur direction, puis tendit son long bras noueux et hideux vers
Couhoulinn. Mais, déjà, celui-ci brandissait son épée et lui en assenait un tel
coup qu’il lui décolla la tête.
Quand les deux autres fils d’Alatrom des Fomoré virent que
leur frère avait été tué, ils débarquèrent à leur tour et s’avancèrent sur
Couhoulinn, ivres de haine et de fureur. Mais lui sauta avec agilité par-dessus
ses assaillants comme il le faisait sur le Pont des Sauts, et, ayant de la
sorte esquivé leurs coups, il tira son épée et leur trancha la tête à tous deux
comme au précédent. Après quoi, les abandonnant sur le sable, il quitta la
jeune fille et reprit sa marche le long du rivage.
Il aperçut alors un vol d’oiseaux qui venait droit vers lui
et, une nouvelle fois, il sauta en l’air et, s’y balançant, se maintint dans le
vent si fort au-dessus du sol qu’il réussit à attraper des oiseaux dans chaque
main. Sur ce, il alla paisiblement rejoindre ses compagnons, sans même songer à
leur dire un mot des Fomoré qu’il avait vaincus, et, tous ensemble, ils se
dirigèrent vers la porte de la forteresse, lui, tenant toujours ses oiseaux
captifs de ses deux mains.
Le portier leur demanda qui ils étaient, et ils répondirent
aimablement. On leur ouvrit la porte, et ils furent reçus par Aed le Rouge en
personne qui, malgré la tristesse et le désespoir où le plongeait la perte de
sa fille, leur fit bon accueil et les invita à passer la nuit dans sa maison. Or,
ils étaient à peine entrés que l’on vit survenir la captive des Fomoré.
« Eh bien, ma fille, dit le roi, ceux qui t’accompagnaient
t’auraient-ils causé chagrin ou déshonneur ? Ou bien la crainte t’a-t-elle
poussée à t’enfuir ? – Détrompe-toi, ô mon père, répondit-elle, il ne s’est
rien passé de tel. Un jeune homme est venu vers moi, qui m’a tenu compagnie, tandis
que mon escorte s’enfuyait, terrorisée par les Fomoré. Puis il a si bien vaincu
les trois fils d’Alatrom qu’il leur a coupé la tête : les voici, je te
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