Les compagnons de la branche rouge
long qu’il traînait entre les roues et balayait le sol,
à l’arrière. À côté marchait un homme de haute taille qui, vêtu d’une tunique
écarlate, brandissait une fourche de coudrier et poussait devant lui une vache
brune.
« Qui es-tu ? » demanda Couhoulinn à la femme.
Elle ne répondit rien, mais elle le regarda d’un air si
cruel qu’il en fut presque terrifié.
« Que veux-tu faire de cette vache, et d’où vient-elle ?
insista-t-il néanmoins. – Tu te mêles de ce qui ne te regarde pas, répondit la
femme. Passe ton chemin et laisse-moi suivre le mien comme je l’entends. – Le
pays où nous sommes est sous ma protection, dit Couhoulinn. Je dois savoir à
qui appartient cette vache. – Tu ne le sauras pas, et je n’ai que faire de la
protection que tu prétends exercer sur le pays. »
Couhoulinn, de plus en plus furieux, s’approcha de la femme
et brandit sa lance contre elle comme pour l’en frapper. Alors, elle poussa un
cri, un cri encore plus violent et plus horrible que celui qui avait retenti
jusqu’à la forteresse d’Imrith, et aussitôt, le cheval, le char, l’homme et sa
vache disparurent. Seule demeura, drapée dans son long manteau rouge, la femme,
devant Couhoulinn et Loeg médusés. Mais elle poussa un nouveau cri et, brusquement,
disparut à son tour, tandis qu’un grand oiseau noir s’envolait, qui se mit à
tournoyer dans le ciel au-dessus du char.
« Morrigane ! s’écria Couhoulinn. J’aurais dû
reconnaître les cris de la fille d’Ernmas. Ah, femelle redoutable, si j’avais
su que c’était toi, je ne t’aurais sûrement pas menacée comme je l’ai fait… ! »
À ces mots, l’oiseau noir se posa au sol, et Morrigane
reprit instantanément son aspect de femme, s’enveloppa dans son manteau rouge
et toisa fièrement Couhoulinn.
« Tu as beau te repentir de m’avoir menacée, dit-elle, tu
paieras très cher ton geste, je te l’assure, quoi que tu fasses, et quelques
prouesses que tu accomplisses. – Comment cela ? demanda Couhoulinn. – Une
guerre surviendra entre les Ulates et les hommes d’Irlande, répondit Morrigane
d’une voix rauque, une guerre au cours de laquelle périront nombre de héros, et
cette guerre éclatera par la faute de deux taureaux. Quant à toi, ne manque pas
d’y voir le signe de ta mort prochaine, car les exploits que tu accompliras au
cours des batailles se retourneront contre toi par la suite. – Ma renommée en
sortira renforcée ! riposta Couhoulinn. J’abattrai les champions d’Irlande,
j’écraserai leurs bataillons, et je survivrai à toutes les luttes que j’aurai
engagées. – Et comment feras-tu, petit chien ? dit Morrigane en riant, quand,
lorsqu’il faudra affronter un homme aussi fort, aussi vaillant, aussi adroit, aussi
terrible, aussi résistant, aussi noble, aussi brave et aussi grand que toi, je
me ferai anguille dans la rivière et, me glissant entre les pierres du gué, je
m’enroulerai si bien autour de tes jambes que tu ne pourras plus bouger ni pied
ni patte ? – Par le dieu que jure ma tribu ! s’écria Couhoulinn, si
tu fais cela, je t’écraserai la tête contre les pierres grises du gué. Et, je
te préviens, je me montrerai sans pitié ! – Tu ne m’atteindras pas, ô
Couhoulinn, car je me ferai louve grise. Alors, je te saisirai la main droite
et je l’avalerai jusqu’au bras gauche. – Si tu fais cela, dès l’instant où tu
surgiras devant moi, je te passerai ma lance au travers de la tête et te
crèverai un œil, le gauche ou le droit, peu importe, et ce sans pitié de ma
part. – Tu ne m’atteindras pas, petit chien, car je me changerai en vache
blanche avec des oreilles rouges, et il me suffira d’entrer dans l’eau du gué
où tu livreras ton combat pour qu’aussitôt cent vaches blanches aux oreilles
rouges me suivent et se précipitent à leur tour dans le gué. Ainsi seras-tu
renversé et piétiné, et c’est ta tête qu’on écrasera contre les pierres grises
du gué. – Si tu fais cela, ô Morrigane, fille d’Ernmas, je jure que je te
lancerai une balle de fronde qui te brisera la jambe, la gauche ou la droite, peu
importe, et ce sans pitié de ma part. – Tu ne m’atteindras pas, fils de
Dechtiré, car avant que tu n’aies lancé ta balle de fronde, je me serai envolée
sous la forme d’un oiseau noir, et je rôderai au-dessus de ta tête afin de te
distraire de ton combat. Ainsi seras-tu faible et désemparé. Alors, je
savourerai
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