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Les compagnons de la branche rouge

Les compagnons de la branche rouge

Titel: Les compagnons de la branche rouge Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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qu’il attacha à sa
ceinture puis, emportant la fille sous son aisselle, quitta les Ulates sans que
ceux-ci réagissent le moins du monde, tant ils avaient peur de l’Homme au grand
Manteau gris. Le seul qui eut l’audace de lui disputer sa prise fut Couhoulinn.
Il se précipita, mais Cûroi, se retournant, l’aplatit au sol avec ses bras. Après
quoi, il lui coupa les cheveux avec son épée et lui frotta la tête avec de la
bouse de vache. Enfin, il s’en alla et disparut dans la brume qui commençait à
se lever sur le rivage [148] .
    Néanmoins, les Ulates chargèrent leurs chars des trésors qu’ils
avaient découverts dans l’île, ainsi que du chaudron d’argent cerclé d’or et de
pierres précieuses. Ils transportèrent le tout à Émain Macha où Conor fut reçu
en grand vainqueur. Le chaudron fut placé à l’entrée de la maison de la Branche
Rouge, mais l’on eut beau s’efforcer de le maintenir plein du lait donné par
cinquante vaches, celles-ci n’étaient pas les vaches blanches qu’avait emmenées
Cûroi mac Daeré. Aussi fallait-il le remplir à nouveau chaque jour. Cependant, son
contenu suffisait à nourrir l’assemblée des Ulates quand ceux-ci se
réunissaient autour du roi Conor, dans la maison de la Branche Rouge, pour
discuter des affaires de la province [149] .
    Quant à Couhoulinn, la honte de l’humiliation que lui avait
infligée Cûroi l’empêcha une année entière de reparaître au milieu des Ulates. Il
demeura pendant tout ce temps dans sa forteresse de Dun Dealgan ; il n’en
sortait que pour aller tuer des oiseaux dans les plaines et sur les collines d’Irlande.
Il s’était cependant promis de se venger cruellement de l’affront qu’il avait
supporté en se laissant ravir Blathnait par l’Homme au grand Manteau gris et
couper les cheveux puis barbouiller de bouse de vache [150] .
    Or, en ce temps-là, le roi de Lochlann avait une fille
nommée Derbforgaille qui s’était éprise de Couhoulinn à force d’entendre les
belles histoires que l’on contait sur lui et vanter les hauts faits qu’il avait
accomplis. Elle décida donc de quitter le royaume de son père et de se rendre
en Irlande auprès de son bien-aimé et, pour ce faire, elle emprunta, ainsi que
sa servante, la forme d’un cygne. Alors, volant de conserve vers l’est, toutes
deux parvinrent bientôt sur les bords du lac de Cuan, reliées entre elles par
une chaîne d’or [151] .
    Or, ce jour-là, Couhoulinn était allé, en compagnie de son
fils adoptif Lugaid [152] ,
au bord du lac pour chasser des oiseaux. En voyant les deux cygnes approcher, Lugaid
dit à Couhoulinn : « Tirons sur eux, puisque nous ne saurions les
attraper. »
    Couhoulinn prit sa fronde et lança une pierre qui, transperçant
coup sur coup les oiseaux, demeura dans la poitrine de l’un d’eux. Tous deux
tombèrent sur le rivage, mais à peine eurent-ils touché le sol qu’ils reprirent
forme humaine et se métamorphosèrent en deux belles jeunes filles qui, allongées
au bord de l’eau, se lamentaient grandement.
    « Tu as été bien cruel, dit celle qui avait encore la
pierre dans sa poitrine, car c’est vers toi que je venais, pour l’amour de toi,
et en raison des prouesses que tu as accomplies. – Il est vrai que j’ai été
cruel et imprudent, répondit Couhoulinn. Aussi vais-je faire en sorte que tu
guérisses de ta blessure. »
    Alors, il se pencha, plaça sa bouche sur le flanc de
Derbforgaille et, à force de sucer la plaie, parvint à en extraire la pierre et
la recracha, mêlée à un caillot de sang.
    « Sois remercié de ta sollicitude, dit-elle. Mais n’oublie
pas que je venais ici uniquement pour toi. – Hélas ! répondit Couhoulinn, rien
n’est plus possible entre nous maintenant. Je ne puis m’unir à un flanc que j’ai
sucé [153] .
– C’est vrai, pour mon malheur, dit Derbforgaille. Mais, dans ce cas, donne-moi
au moins à l’homme que tu choisiras [154] .
– Eh bien, répondit Couhoulinn, j’aimerais te voir suivre en Lugaid aux
ceintures rouges l’un des hommes les plus nobles de toute l’Irlande. – Qu’il en
soit ainsi, pourvu que je puisse toujours te voir », dit Derbforgaille.
    Elle alla donc avec Lugaid et vécut avec lui dans sa maison.
Or, un jour qu’à la fin de l’hiver il avait neigé d’abondance, les jeunes gens
en profitèrent pour éprouver leur adresse et, amassant la neige, en édifièrent
de grands piliers dans la prairie. Ceux qui avaient

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