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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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aussi,
et me dit de fort belles choses. Un embrassement qui me surprit
davantage fut celui de madame de Mirepoix; car elle était aussi là.
Madame la maréchale de Mirepoix est une personne extrêmement
froide, décente et réservée, et ne me paraît pas tout à fait
exempte de la hauteur naturelle à la maison de Lorraine. Elle ne
m'avait jamais témoigné beaucoup d'attention. Soit que, flatté d'un
honneur auquel je ne m'attendais pas, je cherchasse à m'en
augmenter le prix, soit qu'en effet elle eût mis dans cet
embrassement un peu de cette commisération naturelle aux cœurs
généreux, je trouvai dans son mouvement et dans son regard je ne
sais quoi d'énergique qui me pénétra. Souvent, en y repensant, j'ai
soupçonné dans la suite que, n'ignorant pas à quel sort j'étais
condamné, elle n'avait pu se défendre d'un mouvement
d'attendrissement sur ma destinée.
    Monsieur le maréchal n'ouvrait pas la bouche; il était pâle
comme un mort. Il voulut absolument m'accompagner jusqu'à ma chaise
qui m'attendait à l'abreuvoir. Nous traversâmes tout le jardin sans
dire un seul mot. J'avais une clef du parc, dont je me servais pour
ouvrir la porte; après quoi, au lieu de remettre la clef dans ma
poche, je la lui rendis sans mot dire. Il la prit avec une vivacité
surprenante, à laquelle je n'ai pu m'empêcher de penser souvent
depuis ce temps-là. Je n'ai guère eu dans ma vie d'instant plus
amer que celui de cette séparation. L'embrassement fut long et
muet: nous sentîmes l'un et l'autre que cet embrassement était un
dernier adieu.
    Entre la Barre et Montmorency je rencontrai dans un carrosse de
remise quatre hommes en noir, qui me saluèrent en me souriant. Sur
ce que Thérèse m'a rapporté dans la suite de la figure des
huissiers, de l'heure de leur arrivée, et de la façon dont ils se
comportèrent, je n'ai point douté que ce ne fussent eux; surtout
ayant appris dans la suite qu'au lieu d'être décrété à sept heures,
comme on me l'avait annoncé, je ne l'avais été qu'à midi. Il fallut
traverser tout Paris. On n'est pas fort caché dans un cabriolet
tout ouvert. Je vis dans les rues plusieurs personnes qui me
saluèrent d'un air de connaissance, mais je n'en reconnus aucune.
Le même soir je me détournai pour passer à Villeroy. A Lyon, les
courriers doivent être menés au commandant. Cela pouvait être
embarrassant pour un homme qui ne voulait ni mentir, ni changer son
nom. J'allais avec une lettre de madame de Luxembourg, prier M. de
Villeroy de faire en sorte que je fusse exempté de cette corvée. M.
de Villeroy me donna une lettre dont je ne fis point usage, parce
que je ne passai pas à Lyon. Cette lettre est restée encore
cachetée parmi mes papiers. M. le duc me pressa beaucoup de coucher
à Villeroy; mais j'aimai mieux reprendre la grande route, et je fis
encore deux postes le même jour.
    Ma chaise était rude, et j'étais trop incommodé pour pouvoir
marcher à grandes journées. D'ailleurs je n'avais pas l'air assez
imposant pour me faire bien servir; et l'on sait qu'en France les
chevaux de poste ne sentent la gaule que sur les épaules du
postillon. En payant grassement les guides, je crus suppléer à la
mine et au propos; ce fut encore pis. Ils me prirent pour un
pied-plat, qui marchait par commission, et qui courait la poste
pour la première fois de sa vie. Dès lors je n'eus plus que des
rosses, et je devins le jouet des postillons. Je finis comme
j'aurais dû commencer, par prendre patience, ne rien dire, et aller
comme il leur plut.
    J'avais de quoi ne pas m'ennuyer en route, en me livrant aux
réflexions qui se présentaient sur tout ce qui venait de m'arriver;
mais ce n'était là ni mon tour d'esprit, ni la pente de mon cœur.
Il est étonnant avec quelle facilité j'oublie le mal passé, quelque
récent qu'il puisse être. Autant sa prévoyance m'effraye et me
trouble tant que je la vois dans l'avenir, autant son souvenir me
revient faiblement et s'éteint sans peine aussitôt qu'il est
arrivé. Ma cruelle imagination, qui se tourmente sans cesse à
prévenir les maux qui ne sont point encore, fait diversion à ma
mémoire, et m'empêche de me rappeler ceux qui ne sont plus. Contre
ce qui est fait il n'y a plus de précautions à prendre, et il est
inutile de s'en occuper. J'épuise en quelque façon mon malheur
d'avance: plus j'ai souffert à le prévoir, plus j'ai de facilité à
l'oublier; tandis qu'au contraire, sans cesse occupé de mon bonheur
passé, je le

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