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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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même assez longues, l'auraient agrandi si elles eussent
été verticales; mais elles posaient de biais comme celles d'un
compas très ouvert. Son corps était non seulement court, mais
mince, et en tout sens d'une petitesse inconcevable. Il devait
paraître une sauterelle quand il était nu. Sa tête, de grandeur
naturelle, avec un visage bien formé, l'air noble, d'assez beaux
yeux, semblait une tête postiche qu'on aurait plantée sur un
moignon. Il eût pu s'exempter de faire de la dépense en parure, car
sa grande perruque seule l'habillait parfaitement de pied en
cap.
    Il avait deux voix toutes différentes, qui s'entremêlaient sans
cesse dans sa conversation avec un contraste d'abord très plaisant,
mais bientôt très désagréable. L'une était grave et sonore;
c'était, si j'ose ainsi parler, la voix de sa tête. L'autre,
claire, aiguë et perçante, était la voix de son corps. Quand il
s'écoutait beaucoup, qu'il parlait très posément, qu'il ménageait
son haleine, il pouvait parler toujours de sa grosse voix; mais
pour peu qu'il s'animât et qu'un accent plus vif vînt se présenter,
cet accent devenait comme le sifflement d'une clef, et il avait
toute la peine du monde à reprendre sa basse.
    Avec la figure que je viens de peindre, et qui n'est point
chargée, M. Simon était galant, grand conteur de fleurettes, et
poussait jusqu'à la coquetterie le soin de son ajustement. Comme il
cherchait à prendre ses avantages, il donnait volontiers ses
audiences du matin dans son lit; car quand on voyait sur l'oreiller
une belle tête, personne n'allait s'imaginer que c'était là tout.
Cela donnait lieu quelquefois à des scènes dont je suis sûr que
tout Annecy se souvient encore.
    Un matin qu'il attendait dans ce lit, ou plutôt sur ce lit, les
plaideurs, en belle coiffe de nuit bien fine et bien blanche, ornée
de deux grosses bouffettes de ruban couleur de rose, un paysan
arrive, heurte à la porte. La servante était sortie. Monsieur le
juge-mage, entendant redoubler, crie: Entrez; et cela, comme dit un
peu trop fort, partit de sa voix aiguë. L'homme entre, il cherche
d'où vient cette voix de femme; et voyant dans ce lit une cornette,
une fontange, il veut ressortir en faisant à madame de grandes
excuses. M. Simon se fâche et n'en crie que plus clair. Le paysan,
confirmé dans son idée et se croyant insulté, lui chante pouille,
lui dit qu'apparemment elle n'est qu'une coureuse, et que monsieur
le juge-mage ne donne guère bon exemple chez lui. Le juge-mage
furieux, et n'ayant pour toute arme que son pot de chambre, allait
le jeter à la tête de ce pauvre homme, quand sa gouvernante
arriva.
    Ce petit nain, si disgracié dans son corps par la nature, en
avait été dédommagé du côté de l'esprit: il l'avait naturellement
agréable, et il avait pris soin de l'orner. Quoiqu'il fût à ce
qu'on disait assez bon jurisconsulte, il n'aimait pas son métier.
Il s'était jeté dans la belle littérature, et il y avait réussi. Il
en avait pris surtout cette brillante superficie, cette fleur qui
jette de l'agrément dans le commerce, même avec les femmes. Il
savait par cœur tous les petits traits des ana et autres
semblables: il avait l'art de les faire valoir, en contant avec
intérêt, avec mystère, et comme une anecdote de la veille, ce qui
s'était passé il y avait soixante ans. Il savait la musique, et
chantait agréablement de sa voix d'homme: enfin il avait beaucoup
de jolis talents pour un magistrat. A force de cajoler les dames
d'Annecy, il s'était mis à la mode parmi elles: elles l'avaient à
leur suite comme un petit sapajou. Il prétendait même à de bonnes
fortunes, et cela les amusait beaucoup. Une madame d'Épagny disait
que pour lui la dernière faveur était de baiser une femme au
genou.
    Comme il connaissait les bons livres, et qu'il en parlait
volontiers, sa conversation était non seulement amusante, mais
instructive. Dans la suite, lorsque j'eus pris du goût pour
l'étude, je cultivai sa connaissance, et je m'en trouvai très bien.
J'allais quelquefois le voir de Chambéri, où j'étais alors. Il
louait, animait mon émulation, et me donnait pour mes lectures de
bons avis, dont j'ai souvent fait mon profit. Malheureusement dans
ce corps si fluet logeait une âme très sensible. Quelques années
après il eut je ne sais quelle mauvaise affaire qui le chagrina, et
il en mourut. Ce fut dommage; c'était assurément un bon petit
homme, dont on commençait par rire, et qu'on

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