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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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pour cela qu'elle n'était pas une maîtresse. Enfin, je
l'aimais trop pour la convoiter: voilà ce qu'il y a de plus clair
dans mes idées.
    Ce jour, plutôt redouté qu'attendu, vint enfin. Je promis tout,
et je ne mentis pas. Mon cœur confirmait mes engagements sans en
désirer le prix. Je l'obtins pourtant. Je me vis pour la première
fois dans les bras d'une femme, et d'une femme que j'adorais.
Fus-je heureux? non, je goûtai le plaisir. Je ne sais quelle
invincible tristesse en empoisonnait le charme: j'étais comme si
j'avais commis un inceste. Deux ou trois fois, en la pressant avec
transport dans mes bras, j'inondai son sein de mes larmes. Pour
elle, elle n'était ni triste ni vive; elle était caressante et
tranquille. Comme elle était peu sensuelle et n'avait point
recherché la volupté, elle n'en eut pas les délices et n'en a
jamais eu les remords.
    Je le répète, toutes ses fautes lui vinrent de ses erreurs,
jamais de ses passions. Elle était bien née, son cœur était pur,
elle aimait les choses honnêtes, ses penchants étaient droits et
vertueux, son goût était délicat; elle était faite pour une
élégance de mœurs qu'elle a toujours aimée et qu'elle n'a jamais
suivie, parce qu'au lieu d'écouter son cœur qui la menait bien,
elle écouta sa raison qui la menait mal. Quand des principes faux
l'ont égarée, ses vrais sentiments les ont toujours démentis: mais
malheureusement elle se piquait de philosophie, et la morale
qu'elle s'était faite gâta celle que son cœur lui dictait.
    M. de Tavel, son premier amant, fut son maître de philosophie,
et les principes qu'il lui donna furent ceux dont il avait besoin
pour la séduire. La trouvant attachée à son mari, à ses devoirs,
toujours froide, raisonnante, et inattaquable par les sens, il
l'attaqua par des sophismes, et parvint à lui montrer ses devoirs
auxquels elle était si attachée comme un bavardage de catéchismes
fait uniquement pour amuser les enfants; l'union des sexes, comme
l'acte le plus indifférent en soi; la fidélité conjugale, comme une
apparence obligatoire dont toute la moralité regardait l'opinion;
le repos des maris, comme la seule règle du devoir des femmes; en
sorte que des infidélités ignorées, nulles pour celui qu'elles
offensaient, l'étaient aussi pour la conscience: enfin il lui
persuada que la chose en elle-même n'était rien, qu'elle ne prenait
d'existence que par le scandale, et que toute femme qui paraissait
sage, par cela seul l'était en effet. C'est ainsi que le malheureux
parvint à son but en corrompant la raison d'un enfant dont il
n'avait pu corrompre le cœur. Il en fut puni par la plus dévorante
jalousie, persuadé qu'elle le traitait lui-même comme il lui avait
appris à traiter son mari. Je ne sais s'il se trompait sur ce
point. Le ministre Perret passa pour son successeur. Ce que je
sais, c'est que le tempérament froid de cette jeune femme, qui
l'aurait dû garantir de ce système, fut ce qui l'empêcha dans la
suite d'y renoncer. Elle ne pouvait concevoir qu'on donnât tant
d'importance à ce qui n'en avait point pour elle. Elle n'honora
jamais du nom de vertu une abstinence qui lui coûtait si peu.
    Elle n'eût donc guère abusé de ce faux principe pour elle-même;
mais elle en abusa pour autrui, et cela par une autre maxime
presque aussi fausse, mais plus d'accord avec la bonté de son cœur.
Elle a toujours cru que rien n'attachait tant un homme à une femme
que la possession; et quoiqu'elle n'aimât ses amis que d'amitié,
c'était d'une amitié si tendre qu'elle employait tous les moyens
qui dépendaient d'elle pour se les attacher plus fortement. Ce
qu'il y a d'extraordinaire est qu'elle a presque toujours réussi.
Elle était si réellement aimable que plus l'intimité dans laquelle
on vivait avec elle était grande, plus on y trouvait de nouveaux
sujets de l'aimer. Une autre chose digne de remarque est qu'après
sa première faiblesse elle n'a guère favorisé que des malheureux;
les gens brillants ont tous perdu leur peine auprès d'elle: mais il
fallait qu'un homme qu'elle commençait par plaindre fût bien peu
aimable si elle ne finissait par l'aimer. Quand elle se fit des
choix peu dignes d'elle, bien loin que ce fût par des inclinations
basses, qui n'approchèrent jamais de son noble cœur, ce fut
uniquement par son caractère trop généreux, trop humain, trop
compatissant, trop sensible, qu'elle ne gouverna pas toujours avec
assez de discernement.
    Si quelques

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