Les Conjurés De Pierre
de nos membres n’est encore parvenu à élucider. Nos cerveaux les plus intelligents s’y sont frottés et ont établi différentes hypothèses. Mais aucune ne semble être satisfaisante.
— Se peut-il que le document contienne des informations compromettantes pour le pape ?
— Pour le pape Jean XXIII ? Laissez-moi rire ! Comment un tel monstre pourrait-il être plus compromis qu’il ne l’est déjà ? Tout le monde sait que sa sainteté fornique avec la femme de son frère tout en vivant avec la femme du cardinal de Naples. Non content de cela, il cède à ses penchants les plus vils avec de jeunes ecclésiastiques qu’il récompense de leurs services en les nommant pères abbés de riches abbayes. On raconte sous le manteau les plus scabreuses histoires sur les tendances perverses de Sa s ainteté !
— Et vous y croyez ?
— Certainement plus qu’au dogme de la Sainte Trinité. Rien que le terme « trinité » est déjà en soi une présomption ! Non, vraiment, il ne peut être plus compromis qu’il ne l’est déjà. Je croirais plus volontiers que ce parchemin cache une monstrueuse simonie mettant en jeu des sommes colossales qui échapperaient au pape. Mais là aussi, ce n’est qu’une hypothèse.
— Parce que personne n’a jamais vu ce parchemin ?
— Si. L’un d’entre nous l’a eu sous les yeux. Un franciscain apostat qui a sacrifié sa mission évangélique pour l’amour d’une femme et qui est devenu alchimiste. Il s’appelait Rubaldus.
— Pourquoi dites-vous : « il s’appelait » ?
— Rubaldus était d’une naïveté incroyable. Il fournissait l’évêque d’Augsbourg en élixirs stimulant ses capacités, intellectuelles, j’entends. Il est allé le voir pour obtenir de l’argent en contrepartie de certaines informations. Il semble que ses potions aient été efficaces. L’évêque a vite réagi. On a retrouvé un peu plus tard l’alchimiste poignardé à Augsbourg.
Afra, toujours cachée derrière le pilier, plaqua la main sur sa bouche. En écoutant les propos de l’apostat, les dix dernières années de sa vie défilaient dans sa tête. Progressivement, beaucoup d’éléments obscurs s’éclaircissaient. Après tout ce qu’elle venait d’entendre, la jeune femme se sentait soulagée de ne plus avoir le parchemin sur elle. Elle aurait risqué de se faire attaquer encore une fois et de se faire dépouiller comme pendant son voyage vers Strasbourg. Elle espérait que l’innocent Gereon Melbrüge était arrivé sans encombre au Mont-Cassin.
— L’alchimiste a été assassiné ? demanda Gysela.
— Oui, mais nous n’y sommes pour rien, affirma Joachim von Floris. Quand Rubaldus a informé l’évêque d’Augsbourg, partisan déclaré du pape de Rome, de la façon dont il avait eu connaissance du parchemin et lui a retranscrit son contenu, l’évêque a voulu, je crois, s’en débarrasser. C’est en tout cas l’évêque d’Augsbourg qui a mis au courant le pape Jean.
— Et vous êtes certain que la femme de l’architecte est en possession du document ?
Afra tendit l’oreille pour ne pas manquer la réponse.
— Qu’est-ce à dire « certain » ? répliqua Joachim von Floris. Puis, après un bref instant de silence, il ajouta : Pour être franc, je n’en suis plus tout à fait aussi sûr. Nous avons observé cette femme, l’avons suivie et fouillé les moindres recoins de sa vie sans parvenir à comprendre comment ce document avait atterri précisément entre ses mains.
— C’est une femme intelligente, précisa Gysela, intelligente et loin d’être naïve. Son père était un bibliothécaire averti, il lui a transmis une partie de son savoir. Le saviez-vous ?
Joachim von Floris eut un petit rire étouffé.
— Bien sûr que nous le savions, sans parler de beaucoup d’autres éléments de son passé. Je peux vous dire par exemple qu’elle n’est pas la femme légitime de l’architecte Ulrich von Ensingen, mais sa compagne. Nous connaissons aussi les raisons de son départ précipité d’Ulm. Mais tous ces renseignements que nos gens ont collectés ne nous aident guère. Je crois que son père est la clef de voûte de l’édifice. Il est hélas mort. Enfin, quoi qu’il en soit, nous devons retrouver le parchemin avant que les sbires de la curie ne mettent la main dessus. En admettant qu’il existe toujours.
— J’en suis sûre, répondit Gysela troublée. Quand j’ai demandé à Afra le
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