Les Conjurés De Pierre
donné un alchimiste moyennant quand même quelques espèces sonnantes et trébuchantes.
C’était soi-disant un excellent moyen de purifier l’air infecté par la peste et le souffle du diable.
Afra n’avait jamais eu confiance, même quand elle était petite, dans les charlatans. Mais confrontée en permanence à la mort et l’impuissance de l’homme face à l’épidémie, elle avait changé d’avis. à défaut d’être efficaces, ces méthodes ne pouvaient nuire. Alors elle prit une grande bouffée d’air enfumé dans l’espoir de purger son corps en profondeur. q uelques secondes plus tard, elle s’écroulait étourdie sur le lit.
Le beau jeune homme emporté brutalement par la peste hantait son esprit. Elle revivait sans cesse sa tentative de l’embrasser et revoyait ses yeux pétillants de vie qui s’étaient subitement éteints.
Dans sa torpeur, elle repensait à Gysela et s’en voulait d’avoir pu être aussi stupide et naïve pour se laisser à ce point duper. Elle réentendait la conversation dans l’église. Jamais, il n’avait été question entre eux d’Ulrich von Ensingen. Joachim von Floris savait juste qu’Ulrich n’était pas son époux légitime.
De plus, rien dans leurs propos n’indiquait qu’Ulrich ait pu faire partie des apostats. L’aurait-elle soupçonné injustement ? Afra ne savait plus que croire.
Elle avait dû s’endormir car lorsqu’elle s’éveilla en sursaut, il faisait déjà nuit. Quelqu’un frappait à sa porte. Puis la voix de Leonardo retentit :
— Signora, je vous apporte quelque chose à manger !
Leonardo était un homme avenant, ni vieux ni jeune, assez rondouillard, dont la courtoisie contrastait avec l’aspect peu accueillant de sa pension.
— Vous devez vous nourrir, fit-il en souriant aimablement.
Il posa un plateau avec une cruche et une assiette de soupe fumante près du lit sur le tabouret, puisqu’il n’y avait pas de table puis il suspendit une lanterne à une poutre basse du plafond.
— Ce n’est pas comme cela que vous allez éviter la contagion, lui dit-il en hochant la tête. Si je puis me permettre de vous le dire, vous n’avez pas l’air très en forme.
Afra, inquiète, passa les deux mains sur son visage. Elle ne se sentait effectivement pas très bien. Toutes ces émotions des jours derniers l’oppressaient et l’angoissaient.
— N’auriez-vous pas du vin en bouteille ? demanda-t-elle à Leonardo sur un ton désagréable qu’elle regretta immédiatement. J’ai rencontré un médecin qui m’a conseillé de ne boire que du Veneto en bouteille. Il prétendait que le vin rouge possédait des vertus immunisantes. Il m’a recommandé de veiller à ce que la bouteille n’ait pas été débouchée, poursuivit-elle plus aimablement.
L’aubergiste fronça ses sourcils abondants, affectant un air dubitatif. Il circulait dans Venise trop de soi-disant remèdes miraculeux.
Néanmoins, il disparut sans un mot et revint avec une bouteille de Veneto.
— À votre santé ! dit-il avec un sourire satisfait. Il observa avec un plaisir non dissimulé la maladresse dont Afra faisait preuve pour déboucher la bouteille.
— Vous n’avez pas l’habitude de boire en tout cas ! remarqua Leonardo.
— Pas encore ! Mais par les temps qui courent, je risque d’y prendre goût !
Leonardo lui lança un regard interrogateur.
— Laissez-moi deviner, ce n’est pas la peur de la peste qui vous amène dans mon auberge. Mais plutôt un homme. Dites-moi ?
Afra n’avait pas la moindre envie de déballer sa vie à Leonardo bien qu’un avis extérieur soit souvent très précieux dans les périodes de crise. Soudain, l’idée lui vint que l’aubergiste pouvait peut-être l’aider.
— Oui, c’est un homme, répondit-elle en faisant une moue triste avant de reprendre une grosse gorgée de vin.
Leonardo la regarda avec un air compréhensif.
— Où iriez-vous chercher un marchand de Strasbourg qui doit se trouver à Venise en ce moment ?
— Au Fondaco dei Tedeschi.
Elle s’attendait à cette réponse.
— Hélas, je me suis déjà renseignée là-bas.
— Votre mari ou votre fiancé ?
Leonardo la regardait avec un sourire narquois. Comme Afra se taisait, il s’empressa d’ajouter :
— p ardonnez ma curiosité, Signora . Néanmoins quand une femme suit un homme de Strasbourg à Venise, il ne peut s’agir que de son fiancé.
— Vous n’avez pas une autre idée ? demanda Afra,
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