Les Conjurés De Pierre
Gysela son avant-bras.
Gysela eut un brusque mouvement de recul, puis elle le regarda droit dans les yeux sans dire un mot.
— Vos noms sont étranges, remarqua-t-elle une fois qu’elle se fut remise de sa frayeur. Ce sont des noms d’emprunt ?
— Évidemment. Nous ne devons courir aucun risque. Aucun d’entre nous ne connaît la véritable identité des membres de la loge. Nous devons faire oublier toute trace de notre vie passée. Armandus a pris le nom d’un philosophe et alchimiste, connu pour avoir combattu l’ i nquisition dans ses ouvrages, et mort il y a un siècle dans un mystérieux naufrage.
Quant à moi, j’ai repris celui d’un prophète et savant, Joachim von Floris, dont les écrits furent condamnés par le pape en Arles lors du concile de Latran. Joachim annonçait que nous étions entrés dans le troisième temps de l’histoire de l’humanité, le temps du s aint -e sprit qu’il qualifiait de saeculum de la fin des temps. Quand je vois ce qui se passe de nos jours, je crois qu’il avait raison.
Gysela réfléchissait attentivement aux paroles de Joachim.
— Si l’humanité court à sa perte, pourquoi recherchez-vous encore le parchemin ? Quel avantage pourriez-vous encore en tirer ? demanda-t-elle au mystérieux homme.
En entendant cela, Afra fut abasourdie. Gysela, à qui elle avait failli tout raconter, était une espionne ! En quelques secondes, les idées se bousculèrent dans sa tête : la croix barrée brodée sur l’étoffe, le brusque revirement de Gysela qui avait préféré l’accompagner à Venise au lieu d’aller à Vienne.
Tout s’expliquait maintenant. Afra se sentit subitement oppressée. Il fallait qu’elle sorte, qu’elle aille respirer au dehors. Mais elle resta là tétanisée en se cramponnant au pilier et continua d’écouter la conversation en retenant sa respiration.
— Nul ne sait ce que durera l’agonie de l’humanité, poursuivit Joachim, ni vous ni, moi, ni celui dont je porte le nom et qui n’aurait su en dire le terme exact. Pourtant, cela fait désormais déjà deux cents ans maintenant qu’il a prédit la fin du monde.
— Vous pensez que nous pourrions tirer intelligemment profit d’une connaissance exacte de la date à laquelle le monde expirera ?
Joachim von Floris rit tout bas, puis il se rapprocha encore un peu de Gysela. Leurs têtes se frôlèrent. Afra dut tendre l’oreille.
— Je vous fais confiance pour garder cela pour vous ! Souvenez-vous de ce qui est arrivé à votre mari !
— Vous pouvez me faire confiance.
— Voilà ce qu’il en est : officiellement, nous travaillons pour le pape Jean. Bien que notre organisation soit son ennemi, le pontife romain a fait appel à nous. Jean a beau être un crétin fini, il n’est pas bête au point d’ignorer que les apostats sont plus malins que toute la curie réunie avec ses cardinaux avides d’argent et ses monsignori invertis. Il s’est mis en relation avec Melancholos, notre primus inter pares à qui il a proposé dix mille ducats d’or si nous parvenions à récupérer le parchemin.
— Dix mille ducats ? répéta Gysela, incrédule.
Joachim von Floris hocha la tête.
— Melancholos, qui a été démis de ses fonctions de cardinal voilà huit ans, n’était pas moins surpris que vous ne l’êtes en ce moment, surtout lorsque l’on sait comme tout un chacun que le pape Jean est l’avarice incarnée. p our de l’argent, il vendrait sa grand-mère et pactiserait avec le diable. Donc, s’il est capable d’offrir une telle somme pour ce parchemin, c’est que le document en vaut encore plus. Habituellement, le pontife attribue un titre de cardinal assorti d’un évêché ou d’une abbaye située entre Bamberg et Salzbourg en contrepartie de mille florins. Mais dans ce cas précis, il en propose dix fois plus ! Cela vous donne une idée de la valeur de ce morceau de papier.
— Par la s ainte m ère de Dieu ! s’exclama Gysela.
— Il n’hésiterait pas à la donner en prime.
— Mais que contient ce document ? s’enquit tout fort Gysela tellement stupéfaite qu’elle en oubliait la discrétion de rigueur.
Le mystérieux inconnu posa l’index sur ses lèvres.
— Chut ! Même si les gens d’ici ont d’autres soucis en tête, il convient d’être prudent.
— Qu’y a-t-il de si important dans ce parchemin ? insista Gysela encore une fois dans un souffle.
— Vous touchez là au cœur du mystère qu’aucun
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